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haut ? En France, un pareil système mettrait incessamment la constitution à deux doigts de sa perte. À ces objections s’en ajoutent d’autres qui sont plutôt prises dans la situation topographique de notre pays que dans les institutions mêmes de la république. Par suite de l’esprit de défiance qui est l’essence même de ce genre de gouvernement, le mandat du président dure peu d’années ; il faut qu’il se renouvelle souvent. Cette condition n’a aucune conséquence fâcheuse pour un état de peu d’étendue qui se résigne à jouer un rôle secondaire dans le concert des nations ; elle n’en a pas non plus pour l’Union américaine, qui n’a dans son voisinage que des peuples faibles, sur lesquels elle exerce une prépondérance incontestée. Il n’en serait pas ainsi pour la France, placée au centre de l’Europe, entourée de monarchies militaires puissantes comme elle, obligée de surveiller leurs desseins, de contenir leur ambition, obligée aussi de faire de continuels efforts pour que son peuple trouve chez ses voisins des élémens d’échange. Une pareille mission ne sera réalisée que si le pouvoir demeure longtemps dans les mêmes mains. On n’aime et on ne craint que ce qui dure. Un chef d’état temporaire ne conçoit aucun projet à longue échéance dans la crainte de ne pouvoir le mener à terme, et les gouvernemens qui traitent avec lui observent forcément la même réserve. Si, afin d’obvier à ces inconvéniens, on étendait les prérogatives du pouvoir exécutif soit en durée, soit en attributions, ne se heurterait-on pas contre un autre écueil, celui d’exciter outre mesure les convoitises des prétendans à la présidence et de leurs adhérens ? Avec un tel appât, la compétition des concurrens court risque de passer parfois des brigues de la place publique aux luttes de la guerre civile. Cette crise de l’élection présidentielle, si grave même aux États-Unis, serait pour un pays situé comme le nôtre une cause périodique d’affaiblissement. Les gouvernemens étrangers animés de mauvais vouloir contre nous, méditant des entreprises menaçantes pour nos intérêts ou notre influence, ne manqueraient pas de tenter de les exécuter à cette époque. Ce serait pour eux la meilleure occasion de réaliser leurs vues. Et le cas de guerre, il faut bien le prévoir quand il s’agit de la France. Les pouvoirs du président, même étendus, ne seraient pas suffisans pour cette terrible éventualité : il faudrait les accroître encore. Victorieux au dehors, n’est-il pas à craindre qu’il ne veuille conserver ce surcroît d’autorité pour contenir ses adversaires, renverser les obstacles que lui susciteraient des dissentimens intérieurs ? La reconnaissance nationale et le prestige de la gloire provoqueront