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approvisionnemens sont faits, des troupes sont réunies, des commandemens sont distribués ; ces préparatifs sont menaçans ; ils inquiètent une puissance voisine, ils compromettant nos rapports avec elle et peuvent amener la guerre. A l’intérieur, un certain esprit préside au choix des fonctionnaires ; on destitue des préfets connus pour professer une opinion, et on les remplace par d’autres d’une opinion opposée ; ils sont chargés de répandre dans leur département des principes inconciliables avec la constitution, de préparer les élémens d’une réélection qui changera la majorité actuelle du corps législatif. Dans ces deux éventualités si naturelles à prévoir et qu’il serait si facile d’écarter avec une responsabilité nettement déterminée, que de conflits dans le sein même du gouvernement ! Ou le chef de l’état, agissant comme un conspirateur, dissimulera ses vues et surprendra la bonne foi des ministres, ou il révélera ses intentions et confessera le mobile qui le détermine en demandant le concours des chefs des différens départemens ministériels. Le premier cas engendre le soupçon, le second la contestation. Les ministres craignent de se compromettre vis-à-vis de la majorité dont ils sont les organes, et ne veulent qu’à bon escient s’associer à la politique du chef de l’état ; de là pour eux la nécessité de l’observer, de le mettre en demeure à chacune de ses propositions de s’expliquer franchement sur les vues qu’il a conçues. Dans cet état de défiance réciproque, que de difficultés dans la délibération, que d’entraves dans l’action ! Le roi ou l’empereur réclamant le droit de prendre des résolutions, puisqu’aux termes de la constitution il est responsable, les ministres discutant ces résolutions et les repoussant en invoquant leur propre responsabilité, — c’est l’antagonisme en permanence siégeant dans la sphère la plus élevée du gouvernement. Maintenant supposons les faits accomplis, à qui en demandera-t-on compte ? Si on s’adresse au chef de l’état, ne pourra-t-il pas répondre que le ministère les a jugés nécessaires et qu’il n’a pas à les justifier. Si l’on s’adresse aux ministres qui se seront rendus complices plus ou moins volontaires des arrière-pensées du chef de l’état, ne se réfugieront-ils pas derrière lui, invoquant son action constitutionnelle ? Ces deux responsabilités s’annulent donc et ne sont bonnes qu’à tromper les esprits. D’ailleurs que vaut celle de la couronne, quand personne ne peut la formuler, ni indiquer un mode de procédure qui la rende effective et régulière, quand elle ne peut avoir pour sanction pénale qu’une révolution ? Dans aucune constitution, on n’a songé à organiser la révolution.

Revenons à ce qui est pratique, à la seule responsabilité ministérielle. Elle s’attache à tous les actes, à toutes les paroles du pouvoir exécutif ; elle ne court pas risque de s’égarer, et s’exerce au jour le