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accomplir. — Pour prévenir les abus de l’inamovibilité, une loi disciplinaire est indispensable. Elle doit avoir pour but d’exclure des rangs judiciaires ceux qui auront forfait à leurs devoirs, ou que la maladie, les infirmités, auront mis hors d’état de remplir leurs fonctions. — Grâce à ces garanties, la magistrature française aurait une sorte d’autonomie ; en elle renaîtrait bientôt quelque chose du ferme esprit des anciens parlemens ; assez forte pour opposer une barrière à tous les entraînemens, elle offrirait un abri sûr à tous les partis, qui pourraient indistinctement l’invoquer avec confiance.

Faut-il entrevoir dans un avenir plus ou moins prochain l’introduction du jury dans les causes civiles et les délits de droit commun ? Cet élément nouveau dans l’ordre judiciaire amènera-t-il un progrès ? Malgré l’exemple des États-Unis et de l’Angleterre, il reste bien des doutes à ce sujet. L’institution du jury appliquée d’une manière générale détournerait chaque jour un grand nombre d’individus de leurs occupations habituelles ; elle investirait le plus souvent de cette importante fonction des hommes dont la moralité et la capacité n’auraient pu être constatées sérieusement. Ce serait en quelque sorte tirer au sort, en même temps que la composition du jury, les conditions de bonne justice données aux parties en cause. La séparation du point de fait et du point de droit, pour attribuer le premier au jury et le second au juge, séparation qui est le fondement même de l’institution du jury, offre dans la plupart des cas des difficultés très sérieuses à cause de l’inextricable confusion des deux élémens. Dans beaucoup de pourvois en cassation, la question de savoir si la décision attaquée porte sur un point de fait ou sur un point de droit, où le fait finit, où le droit commence, embarrasse des esprits qui ont parcouru tous les degrés de la hiérarchie judiciaire. En voulant généraliser l’institution, on est amené à se poser ce grave problème : renfermera-t-on le jury dans la simple connaissance du fait matériel, ou lui confiera-t-on en outre l’appréciation de certains élémens juridiques plus ou moins intimement liés au fait lui-même ? — Enfin le verdict du jury n’est pas et ne peut pas être motivé, n’est pas et ne peut pas être susceptible d’appel ; qui ne comprend que ce caractère de souveraineté absolue entraîne avec lui un immense danger d’arbitraire ?

On trouve dans le succès des tribunaux de commerce un motif de croire à l’excellence du jury en toute matière. Les membres des tribunaux de commerce ne sont pas tirés au sort comme les jurés, ils sont élus par les négocians dont ils sont chargés d’examiner et de juger les contestations. Les suffrages s’adressent tout naturellement aux plus éclairés, aux plus expérimentés. Qu’on interroge les personnes qui ont passé par ces fonctions, toutes diront que dans ces