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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/190

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mesure féconde. Il avait pour partisans non-seulement les colons, dont on pouvait dire qu’ils prêtaient au projet un appui intéressé, mais encore les officiers les plus éclairés de l’armée, le maréchal Vaillant, le maréchal Pélissier, le maréchal Randon lui-même, qui eut cette singulière fortune de combattre comme ministre de la guerre un projet qu’il avait préconisé comme gouverneur-général de l’Algérie. Enfin, et ce n’était pas un médiocre titre de recommandation, ce système avait été nettement posé par le plus sagace peut-être de tous les gouverneurs qui ont mêlé leur nom à l’histoire de notre colonie, l’illustre maréchal Bugeaud. « Ma doctrine politique vis-à-vis des Arabes, avait-il dit, est non pas de les refouler, mais de les mêler à notre colonisation, non pas de les déposséder de toutes leurs terres pour les porter ailleurs, mais de les resserrer sur le territoire qu’ils possèdent et dont ils jouissent depuis longtemps, lorsque ce territoire est disproportionné avec la population de la tribu. » Au surplus, le cantonnement ne pouvait être repoussé comme une mesure utopique ou dangereuse ; on l’avait appliqué en plusieurs endroits, et l’expérience de plusieurs tribus facilement cantonnées ne permettait pas de douter du succès.

D’aussi fortes raisons, des conseils aussi recommandables, n’eurent pas d’influence sur les décisions du gouvernement impérial. Ressentant tout à coup des scrupules de conscience que les gouvernemens précédens n’avaient pas éprouvés, désireux peut-être d’étonner l’opinion publique par un grand acte de générosité, il provoqua, sans prendre l’avis de la représentation nationale, ce sénatus-consulte de 1863 qui consolide entre les mains des Arabes, à titre de propriété complète, non-seulement les terres qu’ils cultivent, mais celles beaucoup plus considérables qu’ils ne cultivent pas. La politique n’est pas la toile de Pénélope : il n’est pas facile de défaire le lendemain l’œuvre de la veille. Il ne faut donc pas songer à revenir sur une concession imprudemment faite ; mais où trouver des terres pour la colonie, qui en manque ? En 1863, les commissaires du gouvernement déclaraient devant le sénat que le domaine tenait en réserve 900,000 hectares pour les besoins de la colonisation. Aujourd’hui le gouvernement-général de l’Algérie avoue qu’il n’en a plus que 177,000. Qu’est devenue la différence ? A-t-elle eu la destination promise ? est-elle entre les mains des colons ? Pas le moins du monde : depuis six ans, ils n’ont obtenu par vente ou concession qu’un nombre d’hectares tout à fait insignifiant ; en les réunissant aux 82,000 hectares concédés à la Société générale algérienne, on ne peut guère dépasser le chiffre de 100,000. Il faut donc admettre que tout l’excédant a fait retour aux Arabes, soit à titre d’abandon, soit à titre de vente. Le premier travail qu’a nécessité l’application du sénatus-consulte, c’est-à-dire la reconnaissance