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REVUE MUSICALE

Il y a dans le trésor de l’Opéra trois ou quatre chefs-d’œuvre possédant une telle intensité de vie, que le moindre appel de mise en scène fait à la curiosité suffit toujours pour en renouveler l’attraction. Ce Guillaume Tell par exemple, on n’en verra jamais le fond. C’est clair, lumineux comme le diamant ; cependant à chaque fois des surprises vous attendent, vous vous étonnez d’avoir pu apprendre encore quelque chose sur un ouvrage dont les beautés sautent aux yeux, et que vous savez par cœur. En ce sens, l’administration de l’Académie de musique mérite des éloges. On lui reproche des torts vis-à-vis des jeunes compositeurs ; il se peut qu’elle en ait, et la question viendra plus tard, car c’est le métier et le devoir de la critique d’aborder et d’éclairer tous les sujets, dût-elle revenir cent fois sur ce qu’elle croit être la vérité. En attendant, et Jusqu’à ce que l’abus se trahisse, rien ne saurait nous empêcher d’user de ménagemens envers un système dont profitent chaque jour davantage des œuvres qui sont la gloire du génie humain. C’est en vue du répertoire que se font à l’heure qu’il est tous les engagemens, et je demande si cela ne vaut pas mieux que d’aller chercher à prix d’or telle virtuose italienne ou suédoise qui restera indéfiniment pour nous la cantatrice d’un seul côté. Mme Carvalho figure à peine depuis six mois en tête de la troupe de l’Académie impériale, et la voilà au plein du répertoire : hier la reine Marguerite des Huguenots, aujourd’hui Mathilde, demain Zerline dans Don Juan, ou la princesse Isabelle dans Robert. C’est un objet si rare de notre temps qu’une -artiste désintéressée, franche du collier, aimant son affaire et s’y vouant corps et âme, qu’on ne mesure passes applaudissemens à celle qui vous donne cette jouissance exquise d’entendre la romance de Mathilde, au second acte de Guillaume Tell, chantée avec ce style et ce charme incomparables. Point d’ornemens, ni festons ni astragales, comme dans la cavatine renaissance des Huguenots, la ligne mélodique pure et simple, rien de cette poudre d’or qu’on jette aux yeux, de ces effets que le vulgaire obtient en mettant des doubles