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faveur auprès de nos gens. Nulle occasion de lui dire un mot en particulier. Elle semble d’ailleurs très disposée à me battre froid. Le roi, tout en causant avec elle, tournait le dos à la table de jeu où j’étais assise ; mais, poussé par je ne sais quelle curiosité soudaine, le voilà qui se met à me regarder, et avec tant de suite, et avec une physionomie si peu hostile, qu’il a été beaucoup parlé de cet incident.

Mardi 31. — La princesse m’a répété quelques-unes des remarques faites sur ce qui s’était passé hier par une personne qu’elle a vue ce matin. Cette personne estime que le roi n’a rien perdu de son penchant pour moi. Son attitude hier soir ne laissait là-dessus aucun doute. Il ne tiendrait donc qu’à moi de tout dominer, et, si je ne gouverne pas l’Angleterre, à coup sûr il y a de ma faute. — J’ai répondu que, quant à la chose en elle-même, je n’y croyais pas le moins du monde ; mais que, cela fût-il vrai, je trouverais acheté beaucoup trop cher le pouvoir qu’il faut payer de sa bonne renommée.

Un assez absurde propos défrayait ce matin la conversation de la cour. On prétendait que l’abbé Dubois, archevêque de Cambrai, s’étant permis quelques observations au roi de France sur des lois qu’il ne goûtait point, la réprimande encourue par cette hardiesse aurait été accompagnée de deux ou trois coups de pied appliqués par derrière. L’anecdote est apocryphe, cela va tout seul ; mais, admettant que les choses se fussent ainsi passées, comment le jeune prince aurait-il paré l’excommunication du prélat ? Dans l’église catholique, les prêtres s’arrogent en effet ce pouvoir exorbitant.

Leurs altesses, cette après-dînée, sont allées voir représenter une pièce française. Quel lugubre divertissement, et comme on comprend bien qu’un peuple demeure asservi lorsqu’il se repaît et s’amuse de pareilles rapsodies !

Le baron de Bernstorff est revenu. Il se plaint des ministres, et me semble mieux disposé qu’avant la réconciliation. Je lui ai répondu, par ordre de mon mari, que ce dernier, si le ministère était changé, ne refuserait pas de rentrer aux affaires, mais seulement avec des collègues whigs, et jamais dans une administration où les tories auraient accès, ceci devant amener la ruine du pouvoir royal et même celle du pays. Mylord désigne comme des hommes avec lesquels il ne pourrait pas s’entendre lord Cadogan, le duc de Chandos, lord Harcourt, lord Trevor, etc.

J’ai demandé à M. de Bernstorff si M. Walpole allait être nommé lord de la trésorerie. — Non, m’a-t-il répondu, lord Sunderland ne lui abandonnera jamais ce poste… Cependant tout va si follement, au dedans comme au dehors, que je ne puis répondre de rien…