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libre à la fois, où l’éclat des passions excuse les égaremens, où la noblesse est pour chacun la faculté supérieure de se faire sa propre loi. « Je cherche la distinction, disait-elle au baron de Sternberg, non dans la maturité, dans la convenance, dans la règle, mais dans l’indépendance, dans la lutte contre les couches infimes de la société qui veulent franchir toutes les barrières et prendre pour elles des droits qui sont nos privilèges. » Ouvrons un des romans de cette époque, voyons quel air ont les héros de Mme de Hahn, sous quelles couleurs elle nous les présente. Voici le plus curieux peut-être de ces livres et l’un des plus célèbres, Faustine. Les rapprochemens se feront d’eux-mêmes et sans qu’il soit besoin de les souligner.

Faustine doit son nom au culte que son père professait pour le Faust de Goethe, c’est d’ailleurs tout ce que l’on sait de ce gentilhomme, mort bien avant que le récit commence. Faustine est élevée au couvent et recueillie ensuite par une tante, coquette sur le retour, qui se hâte de la marier avec un officier, le comte Obernau. Celui-ci n’avait rien d’aimable et ne fut point aimé. Il était brutal, elle était romanesque ; survint le baron Andlau, le plus sympathique, le plus tendre et le plus attachant des hommes : il aima la comtesse et sut toucher son cœur. — Un jour qu’il l’entretenait de sa passion respectueuse, Obernau parut à l’improviste. Il fallut se battre sur l’heure, et on emporta Andlau grièvement blessé. Faustine le suivit ; elle le soigna, l’amour le guérit, et tous deux partirent pour Venise. Sur ces entrefaites, Obernau mourut : il avait de l’à-propos au moins, s’il manquait de grâce. Voilà notre héroïne en liberté, et à la manière dont on l’aime, avec cette constance d’affection que lui montre Andlau, il semble que l’auteur n’ait plus qu’à les mener à l’église et que le roman va se dénouer. Point, il commence à peine ; connaissons mieux Faustine. Le mariage lui répugnait, elle voulait un bonheur indépendant, elle refusa la main d’Andlau et garda son amour. Le monde, dont ils forçaient l’admiration, voulut bien suppose rentre eux un mariage secret et les entoura de prévenances. On nous les montre à Dresde en plein épanouissement de leur succès. Faustine traverse la vie comme une apparition céleste, indifférente à sa gloire, insouciante des hommages. Elle se laisse adorer avec une certaine condescendance ; mais c’est tout ce qu’elle peut faire. Sa nature ardente l’emporte par-delà les passions terrestres. « Chacun, disait-elle un jour, se fait un second Faust ; celui de Goethe est trop individuel. — Écrivez-nous le vôtre, dit un des assistans. — J’aime mieux le vivre, » répondit Faustine. C’est curiosité de la voir aux prises avec la tendresse attentive et précautionneuse du bon Andlau. Il faut lire entre autres certaine scène, un soir, sur le pont de Dresde, où Faustine rêve aux étoiles qui filent et parle de