Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besoin de la chercher à travers ses romans, elle a pris soin elle-même de se faire connaître au public, et nous a donné une histoire de sa vie très détaillée, très consciencieuse[1]. C’est à coup sûr, de tous ses livres, le plus curieux à lire pour qui veut connaître à la fois la femme et l’écrivain. Son but en le publiant, dit-elle, a moins été de donner le détail de sa vie que de montrer l’accord entre celle-ci et ses ouvrages. De tous les caractères qu’elle a peints, le mieux tracé, le plus intéressant, est le sien. Les idées qui ont inspiré ses œuvres se trouvent là à leur source même, dans toute leur netteté primitive. Elles n’ont fait que perdre à passer dans le roman et à s’envelopper dans la fiction. Le talent de Mme Lewald, tout d’exactitude et de précision, est ici plus à l’aise. C’est son livre le mieux composé et le mieux écrit. Aucun ne donne une idée plus complète de sa manière de voir les choses et de les rendre. Il y a pour nous un double avantage à l’étudier.

Nous allons nous trouver transportés bien loin du petit monde raffiné de la comtesse Hahn ; nous tombons en pleine bourgeoisie juive : éducation, idées, aspirations, tout ici est différent. Cependant il reste je ne sais quel air de famille, quel accent de terroir qui nous avertit que nous sommes encore en pays allemand, et que nous n’avons fait que changer de couche sociale. Celle-ci mérite qu’on s’y arrête, et, sans la pénétrer à fond, qu’on en analyse au moins quelques élémens. Le livre de Mme Lewald est à cet égard un document précieux. La lecture n’en est point toujours attrayante, l’intérêt languit trop souvent : c’est que l’auteur a voulu avant tout faire œuvre de morale et de psychologie, montrer qu’il a réfléchi à maintes choses et qu’il en sait.discourir pertinemment. Mme Lewald ne peut rencontrer une abstraction sur sa route sans s’y arrêter l’espace de quelques pages ; tout lui est occasion, l’ouvrage qu’elle a lu, l’homme qu’elle a nommé, la politique, le droit, les préjugés sociaux et surtout la question capitale de « l’émancipation des femmes, » qui revient sans cesse, comme par un rhythme régulier, pareille à ces refrains monotones qui s’imposent à l’esprit et l’obsèdent. Les circonstances les plus insignifiantes suffisent à la mettre en humeur de dialectique ; elle nous conte par exemple que dans son enfance elle cassait ses jouets ; elle aperçoit là un instinct général, et se demande aussitôt si c’est au besoin de détruire ou à la curiosité naissante qu’il le faut attribuer. Ailleurs, et au milieu de la crise de sa jeunesse, comme elle vient d’éprouver une violente déception de cœur, qu’elle s’écarte du monde et ne peut plus même supporter dans ses habits les

  1. Meine Lebensgeschichte, six volumes, Berlin 1862. — L’ouvrage est divisé en trois parties, intitulées : Dans la maison paternelle, — Années de souffrance, — Années de voyage et d’affranchissement.