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« Je ne saurais, dit-elle, en parlant de la composition de son premier roman, rendre la surexcitation et le bonheur passionné que je trouvai dans ce travail. » Mme Lewald a constamment à la bouche de ces1 grands mots ; le lecteur averti se prépare à être remué.

Que produira l’auteur après tous ces grands cris ?


On attend, la secousse ne vient pas, on demeure froid, et l’on s’étonne. Ces mouvemens d’âme restent renfermés au dedans, il semble que la passion de l’écrivain se glace sous sa plume, on n’a jamais mieux appliqué la fameuse maxime : faire de l’ordre avec le désordre. Cette disproportion entre l’exaltation de l’auteur et la sécheresse de l’ouvrage est plus frappante encore peut-être dans les romans de Mme Lewald que dans l’histoire de sa vie. C’est qu’elle n’est point artiste au vrai sens du mot. Reproduire la nature, indiquer l’idéal, peindre, toucher ; n’est pas seulement ce qu’elle se propose. C’est un publiciste ; elle entend avant tout convaincre et faire agir ; le roman n’est pour elle qu’une forme et un prétexte. Elle est essentiellement un écrivain à tendance. Il y a une thèse dans chacun de ses livres ; la partie polémique en est la plus brillante. Mme Lewald discute mieux qu’elle n’invente, et analyse mieux qu’elle ne peint. Elle a plus de savoir que d’imagination. Noter les faits et les déduire dans leur ordre logique, en les assaisonnant un peu trop généreusement peut-être de réflexions et de maximes, c’est à quoi son talent se prête le mieux. Elle gagne à être aux prises avec la réalité. Aussi ses relations de voyage valent-elles mieux que ses romans, et l’histoire de sa vie est-elle son plus remarquable ouvrage.

Elle ne voulait point, dit-elle, « écrire par vide de cœur, pour amuser des femmes stupides. » Elle entend n’être point confondue avec ces auteurs orgueilleux qui se vantent en se confessant, veulent se faire plaindre et admirer. Encore moins a-t-elle cherché dans ses romans à se raconter elle-même, à refaire sa vie par l’imagination. Elle se défend d’avoir peint d’après nature aucun des caractères qu’elle présente. « Je n’ai jamais, dit-elle, reproduit la pure et simple figure d’une personne ni rapporté dans sa nudité un fait réel, vécu. » Dans les péripéties par où elle a passé, ce qui la frappe surtout, c’est la question sociale qui s’en dégage. Voilà ce qui l’anime et la fait écrire. Son œuvre avant d’éclore traverse ainsi une abstraction et s’y refroidit. Veut-on la voir à l’ouvrage et saisir sur le vif le travail de sa pensée, prenons son premier roman, Clémentine. On se rappelle comment elle l’écrivit, après quels déchiremens secrets et quels efforts pour ne point se laisser réduire à un mariage de raison. Elle suppose qu’elle ait cédé et se demande ce que deviendrait une pareille union, appuyée uniquement sur l’estime, si l’ancien