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Elle l’a remplie consciencieusement, et y a réussi autant qu’il est possible en ce genre secondaire. Elle décrit beaucoup ; elle a des volumes entiers qui ne sont qu’une série de tableaux d’intérieur à peine reliés par une intrigue légère ; ces photographies, bien dégradées et de teinte douce, sont ce qu’elle a de meilleur et vont droit au but ; c’est comme une aimable relation de voyage qui donne envie de partir pour les lieux dont elle parle, et fait rêver doucement du bonheur qu’on y goûte. Mlle Bremer s’inspire là de ses souvenirs ; elle invente moins, à proprement dire, qu’elle ne varie indéfiniment sur un thème uniforme. Elle vise pourtant quelquefois plus haut, comme dans les Voisins par exemple, — un roman où Il y a un essai de drame, une velléité de passion, appareil naïf qui n’ajoute guère à l’intérêt du livre. Tout l’attrait est dans les caractères, deux surtout, caressés avec soin et d’une étude très délicate. Une jeune fille, médiocrement belle et assez pauvre pour être obligée de donner des leçons, inspire un sentiment très vif à une sorte de bourru bienfaisant qui l’épouse et l’emmène dans son château. C’est là qu’on nous les présente dans les premiers jours de leur mariage, très séparés d’âge, très dissemblables de caractère et d’éducation, mais également sincères et loyaux tous deux. Ces débuts de vie commune, la manière dont chacun, non sans quelque effort et quelque frottement, arrive à se faire apprécier de l’autre, comment l’amour naît entre eux de l’estime et de la reconnaissance, tout cela est raconté d’un certain ton de vérité émue qui fait pardonner l’excès de détails où se perd parfois l’auteur.

Mlle Bremer ne se contenta point d’écrire, elle agit, et peu d’existences furent aussi bien remplies que la sienne. On la trouve mêlée à toutes les institutions de bienfaisance de son pays, à celles surtout qui avaient pour objet de venir en aide aux femmes isolées. Le sort de ses pareilles, quand le mariage n’assure pas leur avenir, ne cessa de l’occuper, et ce problème de l’émancipation, qui tente irrésistiblement toutes les plumes féminines, l’absorba à son heure et la retint. Mlle Bremer fit un voyage en Amérique et en rapporta une impression très vive du rôle que la femme a su se faire en ce pays. Elle pensa même un instant à provoquer une agitation dans ce sens : elle y renonça promptement, et se contenta de combattre les faux principes d’éducation et les préjugés vieillis qui interdisent encore à beaucoup de femmes un travail honorable et nécessaire pour elles. Elle se rencontrait sur ce terrain avec Mme Lewald ; mais ce que celle-ci revendiquait comme un droit et un honneur, Mlle Bremer n’y voyait qu’une compensation : le foyer domestique resta toujours à ses yeux la véritable sphère de la femme. « Une mère, disait-elle, qui élève bien ses enfans fait plus pour la moralité humaine que tous les livres du monde : voilà qui ennoblit