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plus d’un côté aux officiers des deux armées. Après la bataille de l’Alma, on avait plus de confiance sans être mieux éclairé sur les forces de l’ennemi que l’on allait avoir à combattre de nouveau.

L’armée française, quoique pleine d’entrain et d’ardeur, se trouvait en ce moment dans une situation défavorable. Son chef, le maréchal de Saint-Arnaud, luttait depuis longtemps, contre de cruelles souffrances. Une grande et légitime ambition lui donnait encore la force de résister aux fatigues de la campagne. Après avoir amené ses soldats devant les murs de Sébastopol malgré les conseils timides de son entourage, il ne voulait pas abandonner le commandement à l’heure où le triomphe semblait prochain. Il paraît incontestable que durant les journées qui suivirent la bataille de l’Alma, il n’avait plus ni le corps assez valide ni l’esprit assez libre pour s’occuper des opérations militaires. Encore moins était-il capable alors.de prendre les résolutions décisives d’où dépendait le succès de l’invasion.

Que se passait-il à Sébastopol au même moment ? Il convient d’abord de dire ce qu’était cette place forte lorsque les alliés débarquèrent à Kalamita. Vers l’extrémité sud-ouest de la Crimée, il existe une longue baie qui pénètre de 5 ou 6 kilomètres à l’intérieur des terres dans la direction de l’est à l’ouest, avec une largeur de 1,200 mètres. C’est la rade de Sébastopol ; l’eau est profonde, l’entrée facile ; une flotte nombreuse peut y trouver un excellent abri. Au fond est l’embouchure d’un petit cours d’eau que l’on appelle la Tchernaïa. Sauf la vallée où coule cette rivière, le terrain s’élève de tous côtés. Sur la rive nord est bâti le faubourg de la Severnaïa ; au sud se trouve la ville même de Sébastopol ; le faubourg de Karabel en est séparé par une anse spacieuse qui est le port proprement dit. On pourrait comparer la position de cette ville à la moitié d’un cirque dont le port occuperait le fond. Le jour où l’assiégeant s’assoirait en haut des gradins, la place devait être perdue sans ressources. Il est important de noter encore, la disposition du littoral aux abords de Sébastopol. En remontant vers le nord, depuis la Severnaïa jusqu’à Eupatoria, le rivage est bas, la côte s’étend en droite ligne sans échancrure ; il en résulte que le débarquement d’une armée peut s’y opérer sans obstacle par le beau temps, sous la protection des canons de la flotte ; en effet, les alliés avaient pris terre avec leurs chevaux, leurs bagages et leur artillerie sans que les Russes eussent osé troubler l’opération ; par compensation, il n’y a pas de port ni même d’abri en cas de mauvais temps. Au sud de la rade de Sébastopol au contraire, le sol s’élève presque à pic à partir du bord de la mer ; la ville est dominée de ce côté par un plateau élevé que les Russes et après eux les alliés ont appelé la Chersonèse. La côte, dentelée et abrupte,