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qui consentait à mourir, mais voulait mourir au soleil. Ce n’est pas à lui que pouvait échoir le sort de ce sculpteur Briant, qui mourut presque ignoré, auteur d’un Mercure, une figure d’argile qu’on eût prise pour un antique, auquel le jury accorda, — hommage posthume, — la médaille d’or, mais qui n’eut point du vivant du pauvre statuaire les honneurs du marbre ou du bronze.

Quand vous voyez un artiste arriver jeune encore à une sorte de célébrité, lorsque surtout cet artiste, sculpteur ou peintre, s’est écarté de l’enseignement de l’école et ne s’est pas conformé docilement aux erremens académiques, vous pouvez être assuré que son talent, quel qu’il soit, se trouve doublé d’une certaine dose de savoir-faire, qualité essentielle pour qu’il puisse tirer parti de ses propres dons, à moins qu’il n’ait rencontré dès le début quelque haute protection, une puissante camaraderie, ce qui est rare. La plupart de nos modernes Mécènes, auxquels l’argent n’est pas ce qui manque le plus, ne se croient pas assez de perspicacité pour démêler dans la foule les jeunes gens dont le talent donne plus que des espérances. Ce serait une entreprise digne d’eux, la plupart n’y songent guère ; ils préfèrent attendre et jouer à coup sûr. L’artiste est devenu maître, ce n’est pas assez ; dût son talent décliner auparavant, ils exigent qu’il ait un nom. Faux Mécènes, ce n’est pas l’œuvre qu’ils recherchent, c’est une satisfaction d’amour-propre et un bon placement d’argent. Ils spéculeront ici comme à la Bourse, ils se vanteront de l’avoir emporté sur tel banquier renommé pour ses prodigalités : fanfarons de dépense d’ailleurs, faux prodigues, qui ne sont pas restés longtemps sans comprendre que les productions d’un artiste en vue, désormais cotées sur le grand marché de l’art, sont aussi des valeurs commerciales ! Ils les montrent, ils les étalent, ils les gardent suspendues dans leurs galeries, comme ils conservent en leurs portefeuilles les actions d’une exploitation quelconque. Ils n’y tiennent pas autrement. Collectionneurs, trafiquans, brocanteurs, marchands, moins réellement épris des belles choses qu’ils ne souhaitent de le paraître, ils demandent des objets sur lesquels la baisse ne soit pas probable, et dont le prix puisse monter toujours. Ils s’appliquent à des opérations qui, en fin de compte, rapportent un assez haut intérêt. Ajoutons que la statuaire, par la nature même de ses travaux, échappe à leur sollicitude. Il faut de l’espace pour en loger les produits. Ces produits coûtent cher et sont difficiles à déplacer. Piédestaux et statues ne se passent pas de main en main comme les tableaux dans leurs cadres d’or. On peut y voir presque des propriétés immobilières, des capitaux dormans.

L’état, les communes, les plus riches seulement, voilà donc les