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M. Garnier prévoyait-il, quand il écrivait ces lignes, à combien de clameurs le groupe de M. Carpeaux servirait de prétexte ? Nous pensons plutôt qu’il parlait d’une façon générale, et que la composition de ce groupe, dont les dessins et les modèles lui avaient dû être soumis comme les autres, ne lui inspirait aucune inquiétude. Il ne l’avait pas vu en place. Il semble qu’entre M. Carpeaux et M. Garnier les discordes et les tiraillemens auraient dû être assez faciles à éviter, puisque l’architecte et le statuaire sont unis par les liens de cette confraternité des anciens pensionnaires de la villa Médicis dont nous avons dit quelques mots. Il existe même sans doute entre eux une intimité plus particulière. Chacun peut avoir vu au Salon dernier un buste que M. Carpeaux avait exposé, un portrait de M. Garnier d’une grande ressemblance d’aspect, d’une facture ferme et solide. M. Carpeaux aura été détourné de ses propres réflexions et des corrections utiles qu’il aurait pu introduire à temps dans son groupe de la Danse par les éloges maladroits de quelques amis, qui, l’encourageant à s’affirmer de plus en plus lui-même, lui auront fermé les yeux sur les dangers de la route dans laquelle il s’engage, lui auront persuadé qu’il faut pousser jusqu’au bout, jusqu’à la grimace, jusqu’à l’enflure, les qualités de force que tout le monde lui reconnaît. A les entendre encore aujourd’hui, le groupe de M. Carpeaux a démontré ce qu’il peut faire. Il est moderne, il échappe à toute convention, il rompt avec le passé, il n’est pas loin d’être sublime. En tout cas, ajoutent-ils, il dépasse tellement les compositions qui l’entourent qu’on peut dire qu’elles en sont écrasées. Cette remarque n’est pas sans justesse. Écrasées, oui ; c’est un triste privilège qu’on revendique là pour M. Carpeaux ; cet écrasement de ses voisins doit être considéré par lui comme un médiocre sujet d’orgueil. La proximité de tel tableau de second et même de troisième ordre écraserait sans peine à Dresde la Madone de Saint-Sixte de Raphaël, et quel peintre, à moins d’être affolé, voudrait se vanter d’avoir obtenu ce triomphe ? Ces louanges prématurées, adressées par des ignorans ou des complaisans, jettent le trouble dans l’esprit et portent un artiste fait pour des choses plus grandes à se contenter de peu. Pourquoi la recherche assidue quand on obtient l’admiration à bon marché ? Plus que jamais depuis quelques mois, on a prononcé autour de M. Carpeaux le nom de Michel-Ange. S’il faut à toute force qu’il soit comparé à quelqu’un, sa manière rappelle plutôt celle du Puget et quelquefois celle d’un contemporain, M. Clésinger. Improvisateur souvent habile, il ferait souvenir d’un autre artiste bien doué, également en possession de la popularité, M. Gustave Doré, qui le rappelle par certaines tournures, certaines habitudes de lignes. Il a toutefois sur M. Doré cet avantage de savoir