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transformation constitutionnelle qui s’accomplit. Non, quoi qu’en pensent M. le président Devienne et M. le procureur-général Delangle, le prince Napoléon n’avait pas tort de dire que le sénat ne portait à son œuvre réformatrice qu’une adhésion très modérée ; il l’a votée, et c’est tout. Il s’est hâté d’en finir, comme s’il espérait par sa précipitation clore une période inquiétante, sans se demander s’il ne valait pas mieux suivre résolument l’opinion jusqu’au bout, et faire aujourd’hui avec une libérale prévoyance ce qu’il faudra peut-être faire demain sous l’aiguillon des exigences publiques.

Toujours est-il qu’il existe désormais, ce sénatus-consulte qui, même restreint, modifie si sensiblement la constitution de 1852. La discussion est passée et sera bientôt oubliée, l’œuvre reste, et à partir de ce moment c’est une situation nouvelle qui commence avec ses conditions inévitables. Le plus grave danger serait de se méprendre sur ces conditions et de croire que tout est fini, qu’il n’y a plus qu’à se remettre en route avec le vieil esprit, avec les vieilles habitudes. Il y a au contraire des conséquences irrésistibles qui se dégagent de tout ce mouvement récent, il y a des nécessités qui s’imposent, et la première de ces nécessités, c’est de faire un gouvernement, nous voulons dire un gouvernement en harmonie avec cet ordre nouveau qui s’inaugure. Jusqu’ici, le sénatus-consulte n’est qu’un acte de plus, un supplément de constitution inscrit au Bulletin des lois, et tout restera en l’air tant que la réforme ne sera pas passée dans la réalité, tant que le corps législatif ne sera pas rentré de fait en possession des droits qui viennent de lui être rendus, tant que du jeu naturel des institutions ne sera pas sorti un gouvernement répondant à une situation nouvelle. Qu’on disserte tant qu’on voudra sur la manière dont ce gouvernement peut se former, sur les termes dans lesquels la responsabilité ministérielle est reconnue, c’est la force des choses qui se charge d’interpréter les textes et d’y suppléer quelquefois.

En Angleterre, l’institution ministérielle avec la garantie de la responsabilité n’est écrite dans aucune loi, dans aucun statut ; elle n’a été définie et prévue ni par la constitution ni par les publicistes. Elle est née spontanément sous Guillaume III, quelques années après la révolution de 1688, comme le fruit naturel d’un régime libre, comme naissent les choses durables, sans même qu’on se doutât alors qu’on créait un des ressorts les plus essentiels du gouvernement parlementaire. Jusque-là il n’y avait eu que des ministres choisis un peu de tous côtés, n’ayant aucun lien, se faisant souvent la guerre entre eux ; le jour où dans la chambre des communes les partis s’organisaient, se groupaient et commençaient à sentir leur force, un cabinet responsable naissait, et depuis ce moment l’institution n’a fait que s’affermir. Le roi a pu être malade ou même fou, l’Angleterre n’a pas moins marché avec un gouvernement,