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cette année d’un sceau particulier, et il paraît même qu’on a pris d’avance le soin de baptiser le vin nouveau du nom de vin du concile, ce qui prouve qu’on attend de bons fruits de la vigne des hommes comme de la vigne du Seigneur ; mais enfin, et pour parler sérieusement, qu’irait faire la France laïque et libérale dans une réunion ecclésiastique à laquelle d’ailleurs elle n’a pas été convoquée ? La présence d’un représentant de l’ordre civil dans un concile s’expliquait autrefois lorsque l’intérêt spirituel et l’intérêt temporel étaient à chaque instant confondus, lorsque la société, politique et la société religieuse se pénétraient en quelque sorte, lorsqu’enfin il y avait une alliance intime et permanente entre l’église et l’état. Désormais, et surtout depuis la révolution française, les deux intérêts tendent de plus en plus à se séparer, les deux sociétés ont des inspirations différentes ; entre l’état et l’église, il n’y a plus que des rapports prévus, définis, administratifs, qui ne sont même pas toujours des rapports de politesse. On est, pour tout dire, sur le chemin où l’indépendance mutuelle et complète des deux pouvoirs doit finir un jour ou l’autre par être proclamée, parce qu’elle est dans la logique invincible des choses, parce que l’ancienne alliance n’est plus qu’un compromis également stérile pour la religion et pour la politique. La France n’a donc rien à faire au concile, elle n’a qu’à s’abstenir, et c’est aussi le système auquel semblent s’arrêter les autres puissances de l’Europe. L’Autriche elle-même, la vieille alliée du saint-siège, est engagée dans une voie de rénovation civile qui ne conduit pas précisément à Rome ; la Belgique s’est nettement prononcée pour une abstention complète, qui est d’ailleurs la conséquence naturelle de sa politique en matière religieuse ; la Bavière, dont le premier ministre, le prince de Hohenlohe, s’est démené tout cet été pour provoquer une entente des cabinets, la Bavière se joindra aux autres gouvernemens. L’Espagne est plus près de rompre avec la cour romaine que d’envoyer des ambassadeurs à la grande réunion. La neutralité est le mot d’ordre de toutes les politiques pour le moment.

Ainsi le concile reste seul, livré à lui-même ; il n’a point à craindre la surveillance incommode des gouvernemens et n’est gêné en rien dans sa souveraine indépendance. Que fera-t-il ? suivra-t-il l’impulsion de ceux qui ont été les promoteurs de cette manifestation de l’église universelle ? consacrera-t-il toutes ces choses extrêmes que caressent depuis longtemps les défenseurs du catholicisme à outrance, l’infaillibilité du pape, des dogmes nouveaux, les doctrines du Syllabus ? C’est évidemment l’espérance des meneurs de Rome, des dangereux inspirateurs de la papauté ; ils vont essayer leur puissance, et s’ils réussissent à faire du Syllabus, accompagné de l’infaillibilité du pape, le symbole du catholicisme, c’est la guerre engagée entre l’église et tous les instincts de la société moderne. Oh ne se dissimule pas sans doute à Rome que ces velléités à