Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exigences pour la vraisemblance morale, et, si la donnée d’une pièce est seulement plausible, m’est avis qu’on doit s’en accommoder sans réclamer autre chose que le développement logique de cette donnée. Voyons si de ce côté la pièce de M. Rivière a de quoi nous satisfaire.

Sur ces entrefaites arrive des Grandes-Indes ou d’ailleurs un certain M. de Léris, consul dans je ne sais quelle île lointaine. Toute l’ardeur des sentimens de la jeunesse, toutes les austérités de la vertu, ont été conservées intactes chez lui par un long séjour outre-mer. Moins modeste, M. Rivière en eût fait sans doute un officier de marine. On a un peu abusé dans ces derniers temps du type de l’homme vertueux retour des Indes ; mais passons, on ne peut pas toujours faire du nouveau. Le but avoué du retour de M. de Léris, c’est de quitter les consulats pour la diplomatie. Son but secret, c’est de demander la main de Mme de Sarrans, pour laquelle il a conçu un violent amour durant un séjour de quelques mois qu’elle a fait dans son île, amour partagé au fond par celle-ci, qui n’a cédé que par faiblesse à M. de Mersey. M. de Léris fait chez Mme de Sarrans la rencontre de Mme Calandel, qui à première vue s’éprend pour lui d’une folle passion. Elle le poursuit de ses avances. Instruite de ses ambitions, elle obtient qu’il soit envoyé à Schœmberg, et lui offre elle-même cette place tout comme ferait un ministre des affaires étrangères. M. de Léris refuse assez durement. Son ami M. de Mersey lui a appris à la connaître, et, tout en lui taisant le nom de Mme de Sarrans, lui a fait l’aveu de la faiblesse avec laquelle il a livré à Mme Calandel les lettres de celle qui fut sa maîtresse. La femme de l’ingénieur ne veut pas voir dans le dédain avec lequel Léris accueille ses avances le mépris d’un honnête homme. Elle devine qu’elle a dans Mme de Sarrans une rivale, et elle exige de celle-ci, toujours avec la menace de publier les fameuses lettres, qu’elle fasse à M. de Léris l’aveu de sa faiblesse vis-à-vis de M. de Mersey. Épouvantée, Mme de Sarrans s’y engage. A une déclaration de M. de Léris, elle va répondre en s’accusant elle-même, quand arrive M. de Mersey. Il vient mettre à exécution le conseil que lui a donné Léris, et offrir sa main à la femme qu’il a trahie, afin de la protéger contre Mme Calandel. Léris apprend ainsi l’indignité de celle qu’il aime. Désespoir de celui-ci, qui cependant n’est pas homme à revenir par intérêt sur un conseil qu’il a donné, et qui presse Mme de Sarrans d’accepter la main de Mersey. « C’est impossible, répond celle-ci. — Pourquoi ? — Parce que je vous aime. « Il y a là une scène du meilleur pathétique et dont l’effet sobrement ménagé est vraiment grand. M. de Léris promet alors à Mme de Sarrans de lui faire rendre ses lettres. Uvales demander à Mme Calandel, qui, le voyant désabusé, les lui donne sans difficulté, et lui adresse face à face une déclaration qu’il repousse. À ce moment, le mari entre brusquement. C’est pour annoncer à sa femme qu’ils sont ruinés, et pour lui proposer de partager avec lui une