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Pendant qu’on discutait au conseil municipal, qu’on lisait des mémoires sur la question à l’Académie des Sciences morales et politiques, que la chambre des députés se montrait passablement indifférente, un homme de bien, sans faire grand bruit et usant de l’initiative que ses fonctions lui donnaient, se mettait à l’œuvre et passait hardiment dans le domaine pratique pendant qu’autour de lui on formulait encore des théories abstraites. M. Gabriel Delessert, en arrivant à la préfecture de police, avait été vivement frappé du mauvais état des prisons du département de la Seine, et entre toutes du pénitencier de la Roquette, qui depuis 1835 était spécialement réservé aux jeunes détenus et aux garnemens subissant la correction paternelle. Epuisés par la misère, les scrofules et de précoces débauches, ces enfans trouvaient dans le régime commun d’une prison ou ils étaient mêlés les uns aux autres des excitations nouvelles qui devaient plus tard les jeter sur les bancs de la cour d’assises ; on entrait là corrompu, on en sortait gangrené et presque toujours moralement perdu sans ressources. Cependant, si une maison de détention devait être faite pour amender, c’était celle des jeunes détenus ; par le système suivi, on arrivait à un but diamétralement opposé à celui que l’on cherchait ; on recevait des mauvais sujets et l’on en faisait des criminels. Le préfet de police jugea que dans cette circonstance l’isolement était indiqué comme un remède aux maux sans nombre qu’il était impossible de nier. Par un arrêté-règlement du 27 février 1838, après avoir essayé de la séquestration complète sur les enfans détenus par voie de correction paternelle, il modifia le régime intérieur de la Petite-Roquette, il prescrivit le travail et l’isolement ; il mit les enfans en rapport avec des professeurs qui leur donnèrent les premières notions de l’instruction élémentaire, et tâcha de les moraliser en plaçant auprès d’eux des hommes auxquels toute brutalité était interdite. En deux ans, de 1838 à 1840, il fit disposer les bâtimens en cellules isolées, et il put avec orgueil constater que, si le régime en commun avait produit une moyenne de 30 récidivistes sur 130 détenus, le régime de la séparation n’en donnait que 7 sur 239. Une série de huit rapports adressés par lui au ministre de l’intérieur, du 29 juin 1839 au 27 février 1847, indique les progrès accomplis, et forme un plaidoyer éloquent appuyé sur preuves, muni de documens irrécusables, en faveur de l’emprisonnement cellulaire.

Cette expérience faite et continuée avec un soin extrême par un homme de bon vouloir sur des enfans, c’est-à-dire sur des êtres mobiles par excellence, naturellement rebelles au joug très dur de la solitude, arrachés à des habitudes de vagabondage et enfermés sans transition dans une cellule muette, fit plus pour la cause en litige que toutes les discussions possibles. Le fait était public et palpable ;