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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/631

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chauffeurs pour nettoyer les cuivres des locomotives ; les souquenilles de laine sont aussi fort recherchées, on les dépèce, on les carde à nouveau, on les file, et on en fait des draps légers dans lesquels les maisons de confection savent tailler des vêtemens à bon marché.

Ce qu’on ne peut obtenir pour les jeunes filles, on l’a fait depuis longtemps déjà pour les garçons ; la Petite-Roquette leur est consacrée ; elle renferme les prévenus, les condamnés au-dessous de seize ans et les enfans mineurs contre lesquels les parens ont obtenu du premier président du tribunal de la Seine une ordonnance de correction. Le système est cellulaire ; mais dans le principe la maison avait été disposée en vue du régime auburnien : les aménagemens n’ont donc été faits qu’après coup, de sorte qu’ils sont toujours restés insuffisans, que les cellules sont trop petites, et que, sous le rapport physique, les enfans ne sont point dans des conditions irréprochables. Le chauffage surtout est à modifier de fond en comble ; un poêle placé à l’extrémité d’une galerie est censé donner une chaleur normale à toutes les cellules : aussi, en hiver, la température est toujours très basse, et dans certaines chambrettes éloignées du foyer elle n’atteint guère que zéro. Les enfans sont assujettis au travail ; ils font des chaînettes de cuivre, des clous dorés ; les plus jeunes, ceux qui sont si petits qu’on ne peut leur donner aucune notion d’un métier quelconque, effilochent le vieux linge et font de la charpie. Il n’y a pas de prison qui laisse une impression plus triste, à laquelle il ne faut cependant pas s’abandonner, car, pour des enfans, le régime de l’isolement absolu est le seul qui puisse mener au salut, puisqu’il les arrache à la contagion de l’exemple. Malgré tous les raisonnemens qu’on peut se faire, on est ému en pensant que ces pauvres êtres sont des enfans, qu’ils sont précisément dans l’âge où l’on a besoin de liberté, de jeux, de mouvement ; on oublie leur dépravation précoce, à laquelle il faut porter remède, et l’on trouve seulement que pour de si petits oiseaux la cage est bien épaisse. On en a soin ; leurs parens, quand ils en ont, viennent les visiter au parloir ; on leur donne quelques leçons de lecture et d’écriture, on les mène à la messe dans une chapelle en amphithéâtre, où chaque enfant est enfermé dans une sorte de guérite qui lui permet de découvrir l’autel et l’empêche de voir son voisin. Ils ont des préaux cellulaires où ils se promènent avec une mélancolie navrante et où ils doivent faire leur toilette. Là ils ont des cerceaux et peuvent jouer dans les quelques mètres carrés qui leur sont accordés ; mais l’espace est bien restreint, le cercle roulant a promptement touché les murs, et les enfans, fatigués de cette distraction illusoire, rêvassent au lieu de s’amuser. J’en ai avisé un, un beau bambin carré des épaules et bien solide sur ses petites jambes. — Quel âge as-tu ? — Onze ans. — Qui t’a fait