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recourir à des changemens perpétuels, il suffit d’admettre que les êtres organisés aient changé quelquefois, sous l’empire de causes déterminées, pour expliquer l’origine des principales diversités qui nous frappent en eux. On a, il est vrai, des exemples d’espèces demeurées à peu près invariables depuis un âge très reculé ; mais d’autres espèces, par suite de quelque circonstance favorable, ont pu éprouver au contraire des changemens et donner lieu à de nombreuses variétés. Il n’y a rien non plus d’impossible à admettre que quelques-unes de ces dernières, s’accentuant plus que les autres, aient dominé enfin par l’exclusion graduelle des nuances intermédiaires. On conçoit tous les passages qui de la simple diversité individuelle conduisent ainsi aux divergences les plus marquées ; on conçoit aussi l’influence du temps et celle des agens extérieurs ou milieux. Ces vicissitudes composent l’histoire même de la vie ; bien que semée de lacunes et entachée d’obscurité, elle témoigne pourtant d’une façon très nette qu’il s’est écoulé un temps extrêmement long depuis que le globe est habité, et montre l’ordre dans lequel les êtres vivans se sont succédé à la surface de la terre. L’homme est parvenu à saisir les faits géologiques par l’étude des couches accumulées au fond des eaux de chaque époque. C’est en examinant ces couches, en les numérotant une à une, comme les feuillets d’un livre, que les savans ont pu diviser le passé de notre planète en un certain nombre de périodes dont l’ensemble entraîne l’idée d’une durée à peu près incalculable. Pour en être persuadé, il suffit de songer à l’épaisseur énorme de certains étages dont la formation a dû pourtant s’opérer avec beaucoup de lenteur ; il suffit encore de constater que, d’une couche à la suivante, on voit les êtres dont les vestiges caractérisent chacune d’elles être d’abord éliminés partiellement, puis entièrement renouvelés.

Lorsqu’on tient compte du très grand nombre de ces renouvellemens successifs et du temps qu’ils ont sans doute exigé, on demeure comme accablé du poids de tant de durée. Rien ne change en effet autour de nous, ou du moins le changement s’il existe, est si insensible que l’homme ne saurait s’en apercevoir. Les insectes du fleuve Hypanis, vivant un jour entier, pouvaient, en avançant en âge, remarquer le déclin de la lumière ; mais s’il existait des êtres dont la vie fût d’une seule seconde, combien faudrait-il de générations pour qu’à la fin une d’elles entrevît le mouvement apparent du soleil ? Il en est ainsi de l’homme par rapport aux êtres qui l’entourent ; il lui paraît que rien ne change ; il s’appuie avec orgueil pour le soutenir sur des observations qui remontent à quelques milliers d’années, et certes rien ne serait venu le contredire, si lui-même ne s’était avisé récemment de pénétrer dans le passé du globe et d’en