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de ceux qui en proclament l’existence avec le plus de conviction, n’est cependant qu’une formule abstraite ; ils n’y voient qu’une confirmation du dessein qu’aurait eu l’intelligence créatrice, tout en produisant les êtres isolément et à plusieurs reprises, de les réunir pourtant par les traits généraux et les détails mêmes de leur organisation. Toutes ces similitudes, toutes ces liaisons, seraient trompeuses, puisque ces êtres, si analogues en apparence, n’auraient par le fait rien de commun ; il n’y aurait entre eux aucun lien de filiation, sauf cependant pour les variétés et les races. Soit ; mais pourquoi admettre alors une semblable exception en faisant appel aux effets d’une variabilité arbitrairement limitée ? Pourquoi l’espèce, si difficile à distinguer de la race, est-elle choisie de préférence au genre ou à l’ordre pour représenter une entité réelle et objective, et quelle preuve apporter de la légitimité de ce choix ? Serait-ce la prétendue fixité de l’espèce ? Cette fixité est justement ce qu’il faudrait prouver non-seulement en ce qui touche l’heure présente, mais pour toute la durée des périodes antérieures. Dès lors l’unité de plan, conçue en dehors de toute base réelle, n’est plus qu’une simple idéalisation, une sorte d’esthétique, résumé abstrait des faits relégué au-delà des faits eux-mêmes. Prise au contraire pour l’expression fidèle des titres de filiation des êtres organisés, l’unité de plan fournit un moyen sûr d’apprécier les liens de parenté qui les rattachent les uns aux autres ; on voit ces liens s’affaiblir graduellement lorsque, s’élevant au-dessus des genres, on remonte de groupe en groupe jusqu’au-delà des embranchemens. La trace de l’évolution est d’autant plus obscure que son point de départ est plus éloigné, elle disparaît enfin ; mais là où le fil conducteur s’arrête, le savant doit aussi s’arrêter et avouer franchement son ignorance. D’ailleurs la doctrine transformiste est loin de proclamer la puissance absolue des agens physiques. La force et la matière réunies n’expliquent pas à elles seules la raison d’être de l’organisation et le développement progressif du moi réflexe et de l’intelligence ; l’énigme reste la même, quoique les termes en soient posés un peu différemment. L’idée de causalité ne sort pas du monde, elle y est seulement introduite par une autre voie et conçue autrement que jadis. Le savant préfère une hypothèse qui s’adapte mieux que l’ancienne aux faits paléontologiques et semble confirmée par une foule d’indices ; il se garde bien de vouloir tout expliquer, ni de croire que le passé de notre planète se laisse dépouiller en un jour des voiles qui le couvrent, et dont l’obscurité se trouve seulement un peu diminuée.

Ainsi pour nous l’unité de plan n’est que la mesure des liens qui réunissent tous les êtres. Évidens chez quelques-uns, visibles, mais