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ses assises en pleine Suisse, sur une terre heureusement accoutumée à tout entendre, à tout laisser passer. Le congrès de Lausanne n’est pas le congrès de Bâle, comme on serait tenté de le croire au premier abord, c’est son frère, ou, pour mieux dire, tous ces congrès sont frères ; ils se ressemblent par l’esprit, par les tendances, par le déchaînement torrentiel des déclamations, par l’impuissance ; ils se ressemblent même trop, ils ont la monotonie de l’excentricité prétentieuse. Dire que le congrès de Lausanne a fait très efficacement les affaires de la paix universelle, au nom de laquelle il s’est réuni, qu’il a fondé les « États-Unis d’Europe » sous la forme de la république fédérative, qu’il a rédigé les « futures tables de la loi, » selon le programme qu’on lui traçait, ce serait se hasarder un peu. On a du moins parlé beaucoup et de toute chose, de la guerre, de la paix, de la république, du socialisme, de la décentralisation, de l’Orient, de la Russie, de M. de Bismarck, de M. de Beust ; puis on s’est retiré avec satisfaction, comme il convient à des gens d’esprit et de talent qui ont suffisamment parlé, et qui laissent à leurs successeurs le soin de recommencer le même exercice l’année suivante. « Ah ! citoyens, fraternité ! » s’est écrié dans un moment de lyrisme M. Victor Hugo, qui ne devait pas d’abord, à ce qu’il semble, aller à Lausanne, et qui a fini par se rendre aux vœux de ceux qui lui avaient déféré la présidence d’honneur du congrès. On ne dit pas seulement si après cette exclamation la fraternité a été définitivement fondée. L’auteur des Misérables est un homme d’un génie poétique que nous ne songeons certes pas à méconnaître, mais qui malheureusement depuis longtemps est la dupe d’une imagination puissante, ingénieuse à prendre d’étonnantes sonorités pour les vues d’un politique de l’avenir. Il éblouit, il excelle à faire entrer dans une même phrase la Saint-Barthélémy et la proclamation de la république française en 1792, la liberté et la Yungfrau. Ce qu’il y a d’étrange dans ce congrès et dans les discours qui ont été prononcés, c’est que sous prétexte de la paix on a émis toute sorte d’idées conduisant inévitablement à la guerre, et du reste M. Victor Hugo lui-même ne s’en cache pas. La première condition de la paix, assure-t-il, c’est la délivrance. La délivrance, c’est la révolution à coup sûr, et « peut-être, hélas ! une guerre qui sera la dernière ; alors la paix sera inviolable, éternelle. » Singulier procédé, on en conviendra, pour établir la paix de commencer par la guerre ! Et cette paix, comment sera-t-elle « inviolable, éternelle ? » Sera-ce parce qu’on aura fait de son mieux pour exterminer l’ennemi ? Mais si ce qu’on appelle l’ennemi ne se soucie pas de se laisser exterminer, s’il songe à prendre sa revanche, si les vaincus à leur tour tentent la « délivrance, » alors ce ne sera pas la paix « inviolable, éternelle, » ce sera la guerre en permanence avec ses poignantes alternatives. Voilà un congrès bien nommé et qui prépare merveilleusement la paix universelle, — à moins que M.