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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/751

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un exemple à Genève, où l’on célébrait au même instant le cinquante-cinquième anniversaire de l’entrée de la république genevoise dans la confédération suisse. Là, tout était simple, cordial et populaire. On ne se défiait pas, on ne menaçait pas de tout renverser pour tout réédifier. Le peuple, c’était tout le monde, le plus simple ouvrier à côté du vieux général Dufour, les femmes et les enfans. C’était la fête d’un peuple libre, et la république se porte bien à Genève. Qu’on n’aille pas au-delà de notre pensée. Encore une fois, nous ne nous plaignons nullement de cette manifestation au grand jour de toutes les opinions qui fleurissent à Lausanne ou à Paris. C’est une évaporation utile. Rien n’est plus salutaire que cette pratique de la liberté où les mœurs se forment et s’aguerrissent. Mieux vaut assurément l’agitation de la vie publique que l’atonie morale dans le silence, ou ces scènes de décadence qui se passent autour de crimes sans nom ; mieux vaut la passion politique et intellectuelle, même violente et intempérante, que ces curiosités maladives surexcitées, entretenues par des récits de toute sorte, par une littérature qui se fait l’historienne des malfaiteurs, des corruptions et des vilenies d’une société.

Il n’y a point en vérité deux manières de redresser la conscience des hommes et de conduire les peuples vers la paix et la liberté ; il n’y a qu’une manière, c’est de raviver toutes les fortes notions et de ne pas propager des idées qui unissent par dépraver les âmes après avoir troublé les intelligences. Il y a en politique une autre nécessité, c’est de ne pas prétendre à l’absolu et de tenir compte des faits. Il est certain qu’il y a une intime corrélation entre les progrès libéraux et le progrès des idées pacifiques ; on peut le voir aujourd’hui à travers cette inaction apparente de la politique et de la diplomatie en Europe. Il faut bien qu’il y ait quelque raison sérieuse de confiance, puisque ces jours derniers, dans un discours prononcé à Watford à l’occasion d’une fête agricole, lord Clarendon assurait que depuis Sadowa il n’y avait jamais eu « de perspective plus belle au point de vue du maintien de la paix. » Il n’est pas moins vrai qu’il reste toujours en Europe assez d’élémens combustibles et de fermens dangereux pour entretenir une situation confuse et contradictoire.

Oui, sans doute, il y a des indices d’intentions pacifiques, et l’envoi du général Fleury comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg à la place de M. de Talleyrand ne peut être le démenti de ces intentions ; il peut tout au plus révéler la pensée de donner un nouveau tour aux relations, de la France et de la Russie. D’un autre côté, on peut voir se succéder depuis quelques jours les curieux indices de rapprochemens inattendus. Après les vives passes d’armes diplomatiques qui ont eu lieu il y a deux mois à peine entre le cabinet de Vienne et le cabinet de Berlin, voici que la paix se fait subitement, et on en revient en vérité aux avances, aux