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comte d’Eu et son armée sont allés le chercher ; ils lui ont fait essuyer une première défaite, ils l’ont poursuivi la baïonnette dans les reins, et dans une nouvelle rencontre la déroute semble avoir été complète. Il ne resterait à Lopez d’autre ressource que d’errer en guerillero dans le désert ou dans les montagnes. Si le comte d’Eu a trouvé le dernier mot au bout de son épée, c’est fort heureux, car enfin à qui peut-elle profiter, cette guerre ? Elle a dévasté le Paraguay, elle pèsera longtemps sur les finances du Brésil, et il est douteux qu’elle laisse dans ces contrées le travail et la civilisation, dont le progrès est la seule compensation de ces luttes sanglantes. ch. de mazade.




REVUE DRAMATIQUE.
ODEON : LE BATARD, drame en quatre actes, par M. ALFRED TOUROUDE.

On arriverait bien vite à un chiffre assez considérable, si l’on prenait la peine d’additionner les noms de tous les écrivains qui ont de près ou de loin quelques obligations à la censure. L’auteur du drame qu’on représente en ce moment à l’Odéon, M. Alfred Touroude, est au nombre de ces favorisés. Ce drame devait s’appeler le Bâtard. C’était convenu, on le savait d’avance et on parlait depuis assez longtemps de cette pièce et de l’auteur, sous prétexte que celui-ci est natif de Rouen comme Corneille, qui fut un grand homme, et comme M. Louis Bouilhet, dont on s’est avisé, depuis sa mort, de nous imposer l’admiration. Tout à coup la censure s’est effarouchée ; elle a exigé que la pièce fût débaptisée, et que le titre du Bâtard disparût de l’affiche pour faire place à celui d’Armand. Pourquoi cette pruderie ? J’entends bien qu’il y a certaines choses qu’il, est permis de dépeindre, et qu’il ne serait pas séant d’appeler par leur nom. On a beau user et abuser au théâtre des maris trompés, il n’en serait pas moins difficile de reproduire aujourd’hui sur une affiche le vieux mot gaulois devant lequel ne reculait pas Molière ; mais en quoi ce malheureux mot de bâtard a-t-il pu choquer la censure quand elle permettait, il y quelques années, à M. Dumas fils d’appeler une de ses pièces Le Fils naturel ? À tant faire que de choisir, je préfère l’expression de bâtard avec ses souvenirs historiques et sa saveur moyen âge à celle de fils naturel, qui sent trop l’hospice et les bureaux de l’état civil. Aussi la censure, a-t-elle eu l’heureuse inspiration de céder au dernier moment, et la Bâtard a pu voir le jour ; mais il n’en a pas fallu davantage pour faire de M. Touroude une sorte de martyr, et Dieu sait s’il fait bon être martyr aujourd’hui. Ce petit démêlé avec la censure a déterminé en sa