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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/760

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bien entendu, le véritable motif qui détermine sa résolution ; mais il n’en est pas de même de son père, vieux débauché sceptique qui ne croit guère à la vertu des femmes en général et à celle des filles-mères en particulier. Aux argumens que suggèrent à Robert son amour et sa conscience, son père répond par cet axiome : on n’épouse pas sa maîtresse, et par des considérations assez rudes sur les femmes tombées. Tout cela n’est pas très neuf, n’est-ce pas ? Eh bien, la scène n’en est pas moins bonne, parce que tout est dit avec vivacité et chaleur, parce que le père et le fils sont bien dans leur rôle, et que la vérité morale y est observée. Sur ces entrefaites, pendant que le père inflexible s’est retiré sous sa tente et que Robert prend les dernières dispositions avec ses témoins, arrive Jeanne au désespoir. Elle veut empêcher le duel dont sa jalousie a été cause, et se trouve en présence de la mère de Robert. Combien de fois n’avons-nous pas vu cette scène entre la maîtresse du fils et son père ou sa mère ? Elle est dans la Vie de Bohème, elle est dans la Dame aux Camélias, elle est dans les Faux Ménages. Où n’est-elle pas ? Mais l’effet en est immanquable pour peu qu’elle soit traitée avec un peu de délicatesse et d’habileté, et c’est le cas dans la pièce qui nous occupe. Il n’y a peut-être pas de scène qui soit meilleure, et le fréquent moucher (pour parler comme Saint-Simon) qu’on entend dans la salle en fait l’éloge plus que tout ce que je pourrais dire. Prévenue par Jeanne, Mme Duversy prévient elle-même son mari, qui, voulant à tout prix empêcher le duel, questionne son fils et apprend de lui que son adversaire s’appelle Armand Martin, qu’il est fils d’une certaine Céline Dauvray, et qu’il a environ trente-cinq ans. Un souvenir vient alors à l’esprit du vieux viveur. Cet homme, ce bâtard est son fils. Ici je ferai un reproche à M. Touroude. Cette découverte n’est pas amenée d’assez loin, et au moment où elle éclate, elle ne produit pas assez d’effet. Si léger que ce père ait pu être, l’idée d’un duel et d’un duel à mort entre ses deux enfans devrait lui faire horreur. Au contraire il semble considérer, à partir de ce moment, l’affaire comme toute simple, et il paraît plutôt joyeux qu’épouvanté de la découverte. L’espérance qu’il peut avoir d’arranger les choses ne suffit pas à rendre vraisemblable cette facilité d’humeur. Il se rend donc chez Armand, bien résolu à empêcher ce duel, tout en ne se faisant pas connaître de lui.

Admirons ici une dernière fois combien il importe peu au théâtre qu’une situation soit vieille ou neuve. La découverte d’un lien étroit de parenté entre deux adversaires prêts à se battre, compliquée de la reconnaissance d’un père et d’un fils, est assurément un procédé théâtral des plus employés. Eh bien ! la scène où Armand et son père se trouvent en présence est la plus saisissante de tout le drame. Elle serait de premier ordre, si une déclamation insupportable n’en venait refroidir l’effet. M. Duversy, pour empêcher Armand de se battre, fait appel à l’autorité