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croyances juives et chrétiennes pour donner naissance à des hérésies nombreuses dont l’église eut grand’peine à triompher. Sa cosmogonie elle-même, qui nous semble si bizarre et si futile, n’avait pas perdu son attrait sur les esprits. On la retrouve au fond de toutes les sectes des gnostiques. Ces faits étaient connus. Ce qui l’était moins, ce que M. Girard a voulu démontrer et qu’il faut faire connaître après lui, c’est l’influence décisive qu’exerça l’orphisme sur la naissance de la tragédie et sur l’imagination d’Eschyle.

Selon M. Girard, l’orphisme n’a pas introduit d’idées nouvelles. Il se contenta de donner plus d’importance à des pratiques pieuses qui existaient avant lui et de préciser des opinions qui étaient restées confuses. Il n’a pas imaginé ces purifications qui réconciliaient l’âme coupable avec les dieux, on les retrouve dans Homère ; seulement il les rendit plus fréquentes, et créa pour elles des rites nouveaux. Le culte des morts, qui a de tout temps existé en Grèce, suppose une croyance vague à la persistance de la vie. L’orphisme partit de cette opinion confuse et affirma plus résolument l’immortalité. Il emprunta aux religions populaires le culte de Bacchos ou d’Iacchos, et fit de sa légende le résumé de ses doctrines. C’est par son influence que le nouveau dieu fut introduit dans les mystères d’Eleusis, à côte de Démêler et de Cora ; mais on ne peut pas dire que cette introduction ait changé l’esprit de ces mystères. Ici encore l’orphisme ne fut pas novateur ; il donna plus de précision et plus de force à des croyances antérieures. L’enlèvement de Cora par Pluton et son retour des demeures sombres, la désolation de Déméter quand elle a perdu sa fille et son triomphe quand elle la retrouve, toutes ces alternatives de tristesse et de joie qui faisaient le fond des mystères d’Eleusis, qui représentaient en réalité la succession des saisons, se retrouvent avec plus de force encore dans la légende de Bacchos. Son histoire ne contient pas moins de ces tristes épreuves. Il est, dès sa naissance, entouré de persécutions et de dangers ; il éprouve des défaites et remporte des victoires ; il meurt et ressuscite. Toutes ces aventures miraculeuses avaient un sens profond pour les orphiques. Bacchos est la vie universelle, la vie indomptable et mystérieuse, qui circule dans la nature entière, qui peut bien paraître affaiblie dans les tristes journées d’hiver, pendant que la terre est nue, « quand les membres desséchés de la vigne semblent vraiment envahis par la mort, » mais qui reparaît plus vigoureuse au printemps dans les bourgeons et dans les fleurs, a alors que la sève qui paraissait tarie s’élance en pousses vigoureuses avec une énergie extraordinaire, et que sur les pentes volcaniques on la voit tout d’un coup sortir du rocher par jets merveilleux, sous l’action concentrée du soleil et des feux souterrains. » Bacchos est donc pour les orphiques le symbole de la vie qui anime la nature et la rajeunit tous les ans ; il est aussi une sorte d’image de l’immortalité de la vie humaine, car l’homme ne peut pas plus s’éteindre que