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par analyse, les manuscrits intéressans et innombrables qui remplissent nos bibliothèques et qui n’ont pas encore été publiés. Le vingt-deuxième volume, qui vient de paraître, est rempli tout entier par un travail étendu et important de M. Charles Thurot sur la grammaire du moyen âge. Nous voudrions en donner quelque idée à nos lecteurs ; mais qu’on nous permette de dire quelques mots de l’auteur avant de parler de l’ouvrage, car son nom même est déjà une garantie de science et d’exactitude.

M. Charles Thurot est, dans un ordre d’études très spéciales, un de ces savans que la France, trop modeste pour elle-même, pourrait opposer, si elle le voulait, à l’orgueilleuse Allemagne. Helléniste consommé, et l’un des premiers au dire des bons juges, versé dans les méthodes critiques de la philologie, il a appliqué au texte si souvent remanié d’Aristote les principes de restitution et de correction dont nos voisins ont ou croient avoir le monopole. La Politique, la Rhétorique, le traité Des parties des animaux, d’autres ouvrages encore, ont été étudiés par lui au point de vue de la pureté et de la correction du texte, et de très heureuses conjectures, déjà devenues classiques, ont prouvé sa sagacité et sa compétence. Ce n’est pas seulement sur les mots, c’est encore sur les idées que s’est appliquée sa critique, et ses études sur Aristote comprennent des études philosophiques très intéressantes : en particulier ce qu’il a écrit sur la dialectique est un morceau complet et définitif. Versé dans l’histoire des sciences en même temps que de la philosophie, il publie en ce moment même sur le principe d’Archimède des recherches où les savans eux-mêmes trouveront beaucoup à apprendre.

Le travail que nous voulons analyser aujourd’hui a pour objet de faire connaître l’histoire de la grammaire au moyen âge en publiant par extraits et en classant systématiquement avec les explications nécessaires de nombreux manuscrits perdus dans les bibliothèques, et jusqu’ici, sauf de rares exceptions, restés presque complètement inconnus. On peut dire que, grâce à M. Thurot, c’est maintenant, dans l’histoire littéraire du moyen âge, une question épuisée. Or ceux qui s’occupent d’une science n’ignorent pas combien est rare la bonne fortune de dire le dernier mot sur une question, quelle qu’elle soit. Ici, la question à la vérité est singulièrement circonscrite, et elle ne paraît pas d’un intérêt très palpitant. Que nous font les grammairiens du moyen âge, et encore les grammairiens latins, car il ne s’agit pas même de l’histoire de notre langue ? Que nous font Pierre Hélie, Alexandre de Villedieu, Boncompagnus et bien d’autres illustres pédagogues de ce temps, qui sont morts sans laisser de nom après avoir fatigué et fouetté tant de générations d’écoliers barbares ? Que nous font leurs théories pédantesques, leurs discussions stériles, leur grossière latinité ? Devons-nous donc aujourd’hui nous remettre à l’école de ces enfans ignorans, si fiers de leur docte sophistique ? N’est-ce pas pousser bien loin l’amour du passé ? Et