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signalé la hardiesse de l’esprit humain, la révolution française, a donc été remise en cause. Tant de mécomptes, de revers, d’avortemens, étaient bien faits pour susciter un nouvel examen de ses origines et de ses motifs, et suggérer à quelques-uns des conclusions sceptiques. Les raisons ne manquaient pas pour mettre en doute soit la légitimité, soit la possibilité du succès. Ce qui a tant échoué pouvait facilement passer pour impraticable. Il est triste de se rappeler combien d’esprits sages, même élevés, se sont alors laissés aller à soupçonner ceux qui ont commencé la France nouvelle d’avoir essayé une œuvre de démence, et les mêmes hommes qui, dociles à l’injonction officielle, proclamaient les principes de 89, en sont venus quelquefois à ne plus soutenir une seule idée, une seule institution qu’eût avouée un homme de 89. La négation des principes menaçait de devenir le premier des principes. Il reste encore bien des traces de cette incrédulité politique, née d’épreuves trop fortes pour notre courage, et même aujourd’hui dans ce réveil de l’opinion publique il est facile d’apercevoir plus de mécontentement que d’espérance, plus de légitime hostilité contre des abus insupportables que de foi efficace dans les moyens de les abolir à jamais. La révolution française reste un mystérieux apologue dont on redoute d’avoir à tirer l’affabulation. On n’ose chercher comment elle doit finir, et l’on ne repousse pas avec défiance ceux qui inclinent à croire qu’elle aurait mieux fait de ne pas commencer.

C’est une des causes du bon accueil fait à un ouvrage qui en méritait un excellent, mais peut-être pour des motifs qu’on n’a pas donnés ou avec des restrictions qu’on n’a pas faites ; nous voulons parler des Mémoires de Malouet[1]. Le grand intérêt de cette utile publication est venu de ce qu’elle faisait connaître à la fois les idées modérément sensées d’un personnage honorable entre tous et les obstacles insurmontables qu’elles avaient rencontrés dans les faits et dans les hommes au début de la révolution française. On trouvait là une nouvelle occasion de suspecter la sagesse de nos pères et d’accuser de déraison ou d’impuissance dangereuse tout ce qui en politique est national sans être officiel, car toute sérieuse révolution est cela, une lutte entre le national et l’officiel.

Quoique ces mémoires embrassent toute la vie de Malouet, qui fut avant d’entrer à l’assemblée constituante un administrateur recommandable, ils ne s’emparent de l’attention qu’au moment où l’ancien intendant de la marine est jeté dans la politique. Avant cette époque, une certaine modestie, qui s’unissait chez lui à des

  1. Mémoires de Malouet, publiés par son petit-fils le baron Malouet, 1 volumes ; Paris, 1868.