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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/779

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voulaient sincèrement unir l’un et l’autre. Un écrivain judicieux[1] a fait une intéressante histoire du règne de Louis XVI pendant le temps où la révolution pouvait être évitée. Ce thème a été repris récemment dans plus d’un ouvrage distingué. Je n’examine pas quelle en est la valeur ; je dis seulement que ce n’était pas la thèse qu’auraient soutenue Malouet et la plupart de ses amis, du moins en 1789. Antérieurement c’était sans doute la pensée de Necker ; mais cette pensée, eût-elle été fidèlement acceptée par un roi capable de conserver à son ministre la force nécessaire pour l’exécuter, n’aurait abouti qu’à l’abolition des abus, à l’amélioration des lois, à la régularité administrative dans la monarchie, mais point à une constitution, je veux dire à un système d’institutions qui assurent la liberté politique. Or que dit Malouet ? « Le parti populaire… réduisit la question au plus simple terme : Nous voulons la liberté, et à cette parole qui fut bientôt consacrée, des millions de voix répondirent : Nous la voulons. Voilà toute la force, toute la magie de la révolution. Il n’y a pas eu d’autre conjuration. Rien n’a plus d’empire sur la multitude qu’une idée simple et positive, lorsqu’elle répond à ses goûts, à ses besoins : Nous voulons la liberté… Tout le monde, sauf un très petit nombre, ayant voulu la liberté, il avait fallu se ranger de l’un ou de l’autre côté. »

Il importe d’insister sur ce point, car il ne manque pas d’écrivains qui, sans même être payés pour le dire, soutiennent que la liberté doit être rayée de la liste des principes de la révolution, et que nos pères n’ont risqué leur repos, leur fortune, leur vie, leur mémoire, qu’ils ne se sont épuisés en efforts gigantesques, enfin n’ont ébranlé le monde que pour donner à Cambacérès la faculté de découper dans Pothier les articles d’un code civil. On n’oserait citer les imposantes autorités que cette thèse a recrutées dans ces dernières années ; mais ceux qui la défendent ne peuvent compter parmi les leurs les impartiaux ou les feuillants de 1790. Ceux-là ne faisaient pas si bon marché de la liberté.

Les censeurs les plus sévères de Mirabeau (et les plus sévères ne sont que justes) ne l’ont jamais accusé d’avoir fait, même en pensée, le sacrifice de la liberté. Il a pu se tromper en partageant, en exagérant l’idée si générale alors de la fonder avec le concours actif de la royauté ; mais, comme l’a dit heureusement Lafayette, qui n’était pas son ami, pour aucun prix il n’eût soutenu une opinion qui eût détruit la liberté et déshonoré son esprit. Mirabeau et ceux qui, ainsi que Malouet, nous le savons aujourd’hui avec certitude, étaient du parti de son intime pensée ambitionnaient pour

  1. M. Droz.