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prince affable, si peu fait pour la tyrannie, disait encore qu’il aimerait mieux descendre du trône que d’être roi aux conditions d’un roi d’Angleterre. Et, sans remonter aussi haut, n’est-ce pas là ce même gouvernement parlementaire traité avec tant de dédain par ceux qui, ne pouvant invoquer des droits séculaires, ne doivent regarder la royauté que comme une heureuse aventure ? La France ne s’est-elle pas entendu dire insolemment qu’elle n’en était pas digne, et que, pour oser y aspirer, il fallait absolument descendre des compagnons d’Hengist, de Canut et de Rollon ?

Il faut donc le reconnaître, ceux en bien petit nombre qui auraient voulu que la constitution empruntât davantage à l’expérience et à l’histoire n’étaient en mesure de faire accepter leurs conseils ni sans la révolution, ni à la révolution. Ils le sentaient si bien que leur première idée fut de se retirer ; quelques-uns l’exécutèrent. Aucun ne fît dans les premières années un effort direct, suivi et concerté pour faire prévaloir une opinion qui avait besoin, pour triompher, de devenir momentanément absolutiste ou révolutionnaire. Ils n’ont tenté sérieusement quelque chose qu’au mois de janvier 1791, au moment où, par une illusion assez naturelle, on mit un reste d’espérance dans l’intervention de Mirabeau. Encore est-il probable qu’en traitant avec lui la cour songeait plutôt à l’annuler qu’à l’écouter ; on tenait plus à sa complaisance qu’à ses conseils. Jusque-là comme après sa mort, le projet des partisans d’une monarchie à l’anglaise, moins différent au fond et pratiquement qu’il ne le paraît de celui des constitutionnels de 91, aurait eu besoin du concours actif et sincère de ceux que les uns comme les autres auraient voulu sauver. À cette condition seulement, les premiers pouvaient négocier avec les seconds ; à cette unique condition, ils pouvaient essayer de désarmer, de rassurer ceux dont ils redoutaient la défiance et l’inimitié. Or cette condition vitale, impossible de la remplir ; ils ne disposaient ni du côté droit de l’assemblée, ni de ce qui restait de la cour. Malouet compte avec dépit le peu de voix qu’il pouvait apporter avec lui à la coalition des hommes modérés. Il était condamné à faire les affaires du roi sans les royalistes. Et le roi lui-même, Malouet en pouvait-il répondre ? Tout ce qu’il en peut dire, le voici : « Toutes mes espérances se fondaient sur l’opinion que j’avais du roi et de ses ministres, qui ne prétendaient point au despotisme ; ils n’auraient su qu’en faire, s’ils avaient pu y atteindre. » Sérieusement est-ce sur la foi de cette opinion négative et quelque peu méprisante qu’il aurait pu dire aux constitutionnels : « Je me porte la caution du roi ? » Suffit-il qu’un roi qui, jadis absolu, ne s’est jamais pris pour un despote ne prétende pas à le devenir, pour qu’il soit prêt à subir la liberté ?