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en est la défiance qu’il inspirait. En temps de révolution, on est d’ailleurs trop porté à exagérer l’importance des mesures législatives. Si la royauté a subi les derniers outrages, les dernières violences, ce n’est pas la faute des lois : elle ne manquait pas des moyens de repousser l’agression et de la vaincre. Elle manquait de la puissance d’user de ces moyens. Elle ne la trouvait ni en elle-même, ni autour d’elle. En elle-même et autour d’elle, elle ne trouvait que la défiance, et ce sentiment, la constitution l’exprimait et ne le créait pas.

Rien de plus évident : le pouvoir exécutif était trop faible. La constitution l’avait fait à la fois trop faible et trop indépendant. Avec les idées de Malouet, de Mirabeau, l’assemblée l’aurait fait plus fort et plus dépendant ; elle aurait attiré le gouvernement à elle. Aurait-elle par là réconcilié la royauté et ses entours avec la révolution ? On en peut douter. Rien n’est indomptable comme les préjugés qu’on regarde comme des devoirs. Ils sont sous la double garde de l’orgueil et de la conscience. Comment supposer qu’on pût sans danger rendre au côté droit une ombre d’appui, lui donner une part d’influence, lorsqu’un de ses plus graves écrivains imprimait deux ans plus tard que M. Malouet méritait d’être pendu ? Et voici quelque chose de mieux. Vingt ans se passent, et l’empereur Napoléon, que Malouet servait avec fidélité, lui reproche gravement d’avoir coopéré à la ruine de l’ancienne monarchie[1].

« La démocratie et toutes ses fureurs, dit Malouet, sont nées des prétentions irritantes de l’aristocratie. » La vérité me force d’ajouter : et des préjugés de la royauté, ce qui n’excuse en rien les fureurs de la démocratie. La défiance a envenimé tous les cœurs, et dans ceux où les passions dominent, elle a déchaîné la haine et la peur. La peur s’est servie de la haine pour se défendre ; la haine s’est servie de la peur pour se venger. Voilà la source de tous les crimes politiques ; puis, comme ces sortes de crimes ont ce caractère d’avoir besoin plus que tous les autres d’hypocrisie, on a inventé après coup une raison d’état pour les motiver. Cela s’est vu dans tous les temps.

C’est torturer l’histoire et la morale que d’essayer une apologie de la terreur. Il n’y a pas de sophisme, il n’y a pas de mensonge qui puisse prévaloir contre la conscience de l’humanité. Les livres odieux où l’on essaie de défendre ce qui défie toute défense ressemblent à ces peintures du Vatican que des papes ont commandées en l’honneur de la Saint-Barthélémy. C’est l’art qui se pervertit au service du crime. La terreur est pour la révolution française la tache

  1. Lettre au ministre de la marine du 3 octobre, Correspondance, t. XIV.