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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/858

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d’origine polonaise ou polonisés, ne faisant rien pour leurs paysans, ceux-ci ont été portés à les considérer comme une caste qui les opprimait et les exploitait. Enfin les Polonais ont essayé de remplacer le ruthène par leur propre langue, devenue la seule officielle, de sorte que les populations rurales ont été privées de tout moyen d’arriver à une instruction un peu développée. Dans cette importante question, la Russie a, comme toujours, agi avec beaucoup de prévoyance, de suite et de cruauté. Au XVIIe siècle, pendant la révolte des Cosaques contre la Pologne, au XVIIIe lors du soulèvement dirigé par la confédération de Bar, elle excita les paysans du rite oriental à se soulever contre leurs propriétaires du rite latin pour les massacrer à coups de couteaux. La consécration des couteaux au couvent du rite grec de Montrynim au-delà du Dnieper fut le signal de la jacquerie de 1768. Après le partage, la Russie ne recula devant aucun moyen pour faire abandonner par les Ruthènes qui lui étaient soumis l’union avec Rome, et elle est arrivée à son but. Aujourd’hui elle prend hautement la défense des Ruthènes de la Galicie contre les Polonais ; elle gagne leur clergé par des pensions et des cadeaux ; elle fait entrevoir aux paysans qu’ils pourront s’unir à leurs frères, qu’on les débarrassera des propriétaires étrangers qui les oppriment. Dans les limites de son territoire au contraire, la Russie étouffe énergiquement toute tentative de renaissance ruthène, même en fait de littérature. Les publications doivent toutes être en russe ; l’usage de l’alphabet cyrillien est interdit. Taras Szewczenko, le poète national de la Ruthénie, le professeur Kostomarov, qui voulait réveiller le sentiment national, ont été condamnés et exilés. Le général-gouverneur de Kiev, M. Annenkov, a déclaré sans ambage qu’il en finirait avec le parti ruthène. Ainsi la Russie ne soutient si bruyamment les Ruthènes en Galicie et en Hongrie que pour les attirer à elle, afin de les faire entrer dans le moule moscovite. Il est vrai qu’elle prétend que Russe et Ruthène sont synonymes.

L’Autriche a montré dans cette affaire ces déplorables variations de conduite qui lui étaient habituelles, et qui résultaient en partie peut-être de l’incapacité de ses hommes d’état, mais surtout de l’inextricable difficulté de sa position. Vers 1840, le gouvernement autrichien, voyant que l’opposition des Polonais devenait de plus en plus violente, se mit à favoriser l’élément ruthène pour les tenir en échec. Il introduisit la langue ruthène dans les écoles primaires au lieu du polonais. Le comte Stadion organisa la société ruthène, et accorda tout son appui au métropolitain grec-uni de Lemberg, toujours en rivalité avec l’archevêque catholique. Alors se forma un parti appelé parti de Saint-George, — du nom de la cathédrale grecque de Lemberg, — lequel se montra d’abord purement