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probable que dans tout le pays ruthène le clergé et les populations rurales sont entraînés vers la Russie. Au contraire, les propriétaires nobles, — et ils sont assez nombreux pour former une sorte de tiers-état, — sont Polonais de cœur et prêts à faire les plus grands sacrifices pour la résurrection de l’ancien royaume ; seulement ils exercent peu d’influence autour d’eux, parce que, dans les différends auxquels donne lieu la réorganisation de la propriété rurale, les fonctionnaires russes appuient toujours les prétentions des paysans, dont ils encouragent les aspirations égalitaires et l’hostilité contre le seigneur. Enfin il s’est formé dans les villes, sous l’influence de quelques lettrés et des souvenirs historiques, un parti national ruthène[1]. Ce parti, qui ne date guère que de 1840, est, affirme-t-on, franchement opposé à la domination moscovite ; mais d’autre part il ne semblait pas mieux disposé vis-à-vis de la Pologne. C’est seulement depuis que les Polonais adoptent un programme démocratique et sympathique aux autres Slaves qu’ils se rapprochent de ceux-là dans l’idée qu’on pourrait fonder une grande république léchite au sein de laquelle la Ruthénie reprendrait une existence indépendante et une autonomie complète.

En Galicia, les personnes les plus éclairées du parti ruthène tendent aussi insensiblement à se rapprocher des Polonais, qui de leur côté comprennent que, s’ils veulent obtenir pleine liberté pour le développement de leur nationalité, ils doivent également l’accorder aux autres. Il est possible que pendant la session actuelle de la diète de Lemberg on arrive à une entente. Sur la motion du vice-président, M. Fawrowski, chef du parti ruthène au sein de cette assemblée, on va constituer un comité pour examiner tout ce qui se rapporte aux griefs des Ruthènes. Ceux-ci demandent notamment un collège ruthène à Lemberg, une subvention au théâtre ruthène, l’enseignement facultatif en ruthène dans les écoles moyennes de la Galicie orientale. Le gouvernement central favorise tout ce qui peut amener un accord entre les deux fractions hostiles, afin d’enlever à l’influence russe des populations qui m’y sont déjà que trop soumises. En résumé, on peut dire qu’en ce moment, sauf la noblesse et un parti qui naît dans les villes, les Ruthènes sont plutôt attirés vers la Russie, y a-t-il moyen d’arrêter ce courant et de le diriger en sens contraire, Voilà ce qu’il faut examiner.

  1. Voyez l’intéressant travail de m ; Léon Syroczynski, le Panslavisme (1869). En sa qualité de Ruthène et de l’Ukraine, M. Syroczinski est à même d’être bien renseigné sur le sentiment de ces populations, si peu connues en Occident. « Certes, dit-il, il y a des Ruthènes (Petits Russiens) qui en sont encore à crier vengeance contre la Pologne ; mais ce sont des fonctionnaires ou des agens du gouvernement. Les hommes qui s’efforcent de former un parti national sont franchement ennemis de l’empire russe. »