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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/864

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Les Polonais doivent aussi changer de conduite à l’égard des Ruthènes et d’attitude vis-à-vis des autres Slaves. Jusqu’à présent, ils ont agi comme les Allemands le faisaient à l’égard des Hongrois, et les Hongrois à l’égard des Croates. Ils se sont efforcés d’imposer leur langue, leurs usages, leurs lois aux Ruthènes ; en un mot, ils ont tenté de les poloniser. Ils ont échoué, comme les Allemands en Hongrie, et les Hongrois en Croatie, et comme ceux-ci ils ont soulevé l’opposition et la haine. Il est des époques où des populations se laissent transformer et absorber par une civilisation supérieure. Au moyen âge, les Slaves de la Prusse ont été germanisés complètement ; mais, quand le sentiment national est éveillé, il est trop tard. Il faut le respecter, car l’extirper est impossible. Ce que les Polonais doivent désormais aux Ruthènes, c’est plus que de l’équité, c’est de la charité. Qu’ils suivent une politique non pas catholique, mais chrétienne ; que non-seulement ils accordent à la langue ruthène la place qui lui revient dans l’administration et l’enseignement, mais qu’ils en encouragent la culture, le développement ; qu’ils favorisent l’instruction, qu’ils apportent au peuple, au lieu de livres de propagande ultramontaine, des publications conformes à ses besoins intellectuels, qu’ils fassent tout pour aider le paysan à arriver au bien-être, à la propriété de la terre, à la conscience de sa dignité d’homme. Justice et charité, tel doit être aujourd’hui le mot d’ordre ici comme partout.

Le moment arrive où commence à se réaliser cette prophétie de l’Évangile : les derniers seront les premiers. A mesure que l’instruction et la vie de l’esprit se généralisent, les classes laborieuses dans notre Occident, dans l’Europe orientale les races longtemps méprisées, asservies, se lèvent et réclament leur place au soleil. Ce mouvement est lent ; mais il est continu et irrésistible. Rien ne l’arrêtera. Il a subi des échecs, des retards ; il en subira encore. Il persistera néanmoins, et les échecs même accroîtront ses forces. La grande politique, chrétienne ou humaine, comme on voudra, consiste à s’associer à ce mouvement ascendant de la démocratie pour le diriger de façon à ce qu’il aboutisse à une amélioration permanente des sociétés. Tchèques, Slovènes, Serbes, Ruthènes, toutes ces populations muettes qu’on a foulées sans merci parce qu’elles étaient au