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et inonder de ses produits tous les marchés libres de l’univers. Alors, mais seulement alors, le free-trade a fait son apparition, et il a trouvé, lui aussi, des apôtres non moins dévoués que Wilberforce pour en prêcher l’adoption à toutes les nations industrielles.

Le mouvement commença par une campagne en règle dirigée contre les corn-laws, les lois sur le commerce des grains, par les grands industriels, les « lords du coton, » comme les appelaient ironiquement leurs adversaires. À cette époque, le commerce des grains était placé en Angleterre sous le régime de l’échelle mobile, cette combinaison si ingénieuse et si vaine dont la France a fini par se débarrasser à son tour. Le point d’attaque était habilement choisi. La production des céréales, malgré les progrès de l’agriculture, était devenue insuffisante pour satisfaire aux besoins réguliers de la consommation, et l’Angleterre se trouvait réduite à dépendre constamment pour son alimentation normale de l’importation des blés étrangers. Il était donc indispensable, urgent, de faciliter autant que possible cette importation. Suivant l’usage anglais, une association se forma sous le nom d’Anti-corn-laws league, pour obtenir la substitution à l’échelle mobile d’un droit fixe très modéré. La ligue, conduite par des chefs d’une grande intelligence et d’une activité infatigable, étendit ses opérations sur toute la surface du pays. Elle agit par des publications, des discours, des meetings, et provoqua une agitation sérieuse. L’échelle mobile, destinée à favoriser la propriété foncière, était particulièrement chère aux tories. Ce parti avait la majorité dans la chambre des communes, ses chefs occupaient le ministère : on s’attendait à une résistance désespérée de sa part ; mais sir Robert Peel, — et ce sera son éternel honneur, — comprit la gravité de la situation. Par une de ces conversions subites, familières aux hommes d’état anglais, il prit en main la cause de la réforme, et fit voter l’abolition des corn-laws par son parti frémissant et indigné. Cette victoire lui coûta son portefeuille ; il quitta le ministère, emportant dans sa retraite la conviction d’avoir rendu à son pays un immense service. Moins de vingt ans après, cette conviction était devenue celle de toute l’Angleterre.

L’agitation tomba tout d’un coup, et la ligue, ayant atteint son but, s’empressa de se dissoudre ; mais la brèche était ouverte, et le gouvernement, pour offrir à la propriété une compensation au rappel des corn-laws, entreprit la réforme complète de la législation douanière sur les bases de ce qu’on appelait le free-trade, le libre commerce. L’industrie anglaise n’avait certainement pas lieu de redouter la réforme des tarifs. Cependant elle l’accueillit avec une grande méfiance, et, bien que la question soit pour tout le monde en Angleterre irrévocablement tranchée, il ne se passe pas de session sans que les doléances de quelques villes industrielles soient portées