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Il s’agit ailleurs d’une dame de grande maison, et dont le mari occupe un emploi élevé. « Elle a deux amans attitrés, l’un pour l’utilité, l’autre pour l’effet. » Les hommes, descendant encore plus bas, ne se font point scrupule de fréquenter des bouges hantés par leurs laquais, et d’échanger leurs maîtresses contre celles de ces messieurs. Les laquais par contre ne se font point scrupule d’usurper le rôle des maîtres. On connaît l’histoire d’Arthur Gray, le jeune valet qui faillit payer de sa vie un crime d’amour. Il s’était épris de la fille de son maître, et l’avait surprise dans son sommeil. La noble dame, profondément blessée, réclama impitoyablement le châtiment du coupable. Ses amies, plus indulgentes, prétendirent que le malfaiteur n’avait d’autre tort que d’être laquais. J’ignore s’il faut les prendre au mot ; mais lady Mary la première semble trouver qu’un valet, après tout, est un homme.

Le duc, demeuré veuf, passait presque toute l’année dans son domaine de Thoresby. La saison des chasses y rassemblait de nombreux convives, et le maître de la maison, fort difficile à l’endroit du service, exigeait non-seulement que sa fille présidât à la table d’honneur, mais découpât elle-même les viandes. Lady Mary, ne trouvant pas le temps de manger à table, se faisait ces jours-là servir chez elle. Elle n’en avait pas moins à subir des conversations gênantes pour l’oreille d’une jeune fille. Les convives, excités par la bonne chère, ne se piquaient guère de délicatesse. Parfois elle ne pouvait s’empêcher d’entendre, et malheureusement ses réflexions comme son style se ressentent de la contagion. Voici comment elle rend compte d’un mariage ridicule, et sur quel ton elle s’entretient avec une amie de son âge. « Grand événement : les épousailles d’une vieille fille pauvre et d’un homme riche d’une douzaine de millions. Il écrase tout le monde par son faste. Rien de comparable à ses livrées, à ses carrosses. La fiancée, entre autres cadeaux, a reçu pour plus de soixante mille francs de bijoux, car vous saurez que jamais homme ne soupira pour de jeunes attraits comme celui-ci pour des charmes demeurés quarante ans ignorés. Jamais mariée pourtant ne fit moins d’envieuses, le cher homme d’époux était bien la plus dégoûtante carcasse imaginable. Certes je ne dînerais pas, s’il me fallait manger en compagnie d’un pareil épouvantail. On les maria le vendredi, et le dimanche d’après ils vinrent solennellement à l’église. J’y étais, et pus voir la jeune épousée s’endormir vers le milieu du sermon. Ses ronflemens sonores furent surtout remarqués par les femmes, qui modifièrent, d’après ce symptôme, leur mauvaise opinion sur le mari. D’autres, les méchantes langues, parlèrent de comédie, disant que tout cela n’était qu’une flatterie habilement combinée. Je n’en crois rien, et pense au contraire que des