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révéler, réclamait une somme plus grande que le capital et les intérêts réunis. Il fallait choisir entre des sacrifices d’argent impossibles et l’humiliation de tout avouer. On ne sait trop comment l’affaire se termina ; mais les lettres qu’elle adressait alors à sa sœur témoignent de la profondeur de son humiliation et de la vivacité de ses angoisses.

Le temps était loin sans doute où elle écrivait « qu’à la condition de rester belle et de ne point vieillir, elle ne demanderait qu’à continuer la même vie pendant trois ou quatre siècles. » Les années s’écoulaient, emportant le tribut accoutumé des adulations et des hommages, remplaçant la flatterie par l’indifférence, le respect par le dédain. On interrogeait sa vie privée, on s’arrogeait le droit d’examiner ses moindres actes. Ses ennemis la chansonnaient, et le poète Pope tout le premier ne craignit point de répandre sur son compte des calomnies atroces. Le poème de Sapho était une insulte à son adresse. Elle essaya vainement de confondre le diffamateur, et s’adressa dans cette intention à un homme qu’elle croyait dévoué. Par malheur, il l’était davantage encore à Pope, et la pria de ne point le mêler à cette affaire, assurant qu’elle se trompait et soupçonnait à tort un homme honorable. Lady Mary se tut, comprenant qu’une femme n’a point d’appui à espérer dès qu’elle n’a plus de jeunesse. Les consolations intimes lui manquaient comme les autres. Son mari, froissé et attristé par ces scandales, la traitait froidement, et son fils, plus tard aventurier et pirate, se mariait, en sortant du collège, à une ouvrière assez vieille pour être sa mère. Restait sa fille, personne honorable, et dont la tendresse semblait devoir la dédommager de tout le reste ; mais dans cette âme aigrie l’ogueil offensé devait l’emporter sur le sentiment même de la famille. Sa fille allait épouser le comte de Bute, pair d’Angleterre et ministre, Le lendemain même de ce mariage, lady Mary manifesta l’intention de quitter l’Angleterre ; son mari ne s’y opposa point. Lady Mary avait toujours souhaité revoir l’Italie, et sa santé délabrée fournissait un prétexte fort convenable à ce voyage ou plutôt à cette séparation. Les deux époux avaient compris que, ne s’aimant plus, ils devaient s’épargner au moins les reproches mutuels. Peut-être, en se séparant, espéraient-ils se rapprocher un jour ; mais l’amitié ne germe pas sur les débris des grandes passions éteintes, et deux personnes qui s’étaient si fort aimées et si longtemps blessées ne pouvaient oublier le passé.

Ils se séparèrent en 1739, au mois de juillet, après une union qui, souvent troublée, avait duré vingt-deux ans ; il leur en restait encore autant à vivre. Lady Mary alla d’abord à Venise, puis à Rome, où elle passa l’hiver et assista à des fêtes nombreuses. Sa