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élection assez douteuse que le large et entraînant exposé d’une politique. La vigueur de son éloquence, la fermeté de ses déclarations libérales, ont produit un effet que M. Jules Favre a été le premier à reconnaître. M. de Forcade, pourrions-nous dire, a pris position comme ministre de l’empire libéral, comme orateur de ce nouveau régime qui commence ; mais ce succès, si légitime et si honorable qu’il soit, ne change point une situation : il a pu être un instant une complication, en ce sens qu’il aurait déconcerté les combinaisons qui se préparaient ; au fond, les choses restent au même point. La vraie faiblesse du ministère, c’est qu’il tient par des liens trop étroits au passé, c’est qu’il est au pouvoir comme l’image survivante et obstinée de ce passé dans un moment où le pays a besoin de voir dans son gouvernement une représentation sensible et palpable de cet ordre nouveau qu’on lui promet, auquel il ne croit qu’à demi, tant qu’il a devant lui les mêmes personnalités passant d’un régime à l’autre. Une seconde faiblesse, c’est que ce cabinet, on le sait bien, n’est rien moins qu’homogène. On ne peut ignorer qu’entre les hommes qui le composent il y a des divergences, des rivalités, et que plus d’une fois depuis quatre mois ils n’auraient pas demandé mieux que de se culbuter mutuellement. Ils sont réunis dans un cabinet, ils ne forment pas un ministère, et comment veulent-ils que le pays ait quelque confiance quand ils se défient eux-mêmes les uns des autres, toujours prêts à jeter à la mer une partie de la cargaison ministérielle ? Que quelques-uns de nos ministres puissent entrer dans une combinaison nouvelle, c’est possible, quoique ce ne soit pas désirable, même pour ceux qui pourraient céder à la tentation. Dans tous les cas, le ministère tel qu’il est, ou reconstitué dans des conditions à peu près identiques, n’aurait plus qu’une autorité précaire, une existence sans cesse disputée, et dès lors c’est entre les partis en voie de formation, entre les hommes nouveaux que la question se débat.

A dire la vérité, ce ne serait plus une question ; le dénoûment serait déjà venu, si dès le premier instant on avait montré un peu plus de sang-froid, un sentiment plus exact des nécessités nouvelles. Malheureusement le premier usage qu’on a fait d’un commencement de victoire a été de se diviser, et c’est ainsi que parmi les vainqueurs, parmi ceux qui aspirent à être les leaders du nouveau mouvement libéral, deux camps se sont formés, — M. Emile Ollivier, M. de Talhouet, M. Segris, allant un peu à droite, — M. d’Andelarre, M. Buffet, M. Daru, M. Latour du Moulin, inclinant un peu vers la gauche. On n’a été guidé sans doute que par les intentions les meilleures. M. Emile Ollivier s’est dit qu’il serait difficile de former une véritable majorité, si on n’essayait de rallier une partie de la droite ; M. Buffet, M. d’Andelarre, ont cru au contraire que ce serait tout compromettre, si on paraissait s’identifier avec l’ancienne majorité. On a manœuvré, et en définitive on n’est arrivé à rien,