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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/1031

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maître papillonne, oublieuse de l’idée à suivre. M. Michelet a décidément horreur de la ligne droite et des grands chemins ; sa pensée disparaît à chaque instant à droite ou à gauche de la route tracée ; tantôt elle escalade les flancs du sujet par de petits sentiers tournans et fleuris, tantôt elle plonge brusquement dans des bas-fonds mystérieux, faits pour donner le vertige, et d’où elle revient en grimpant comme un lézard le long d’une muraille. Ces allures buissonnières, cette espèce de jeu de cache-cache, peuvent, le cas échéant, n’être pas sans un certain, charme ; mais le cas n’échoit pas toujours. La première fois que M. Michelet, entre deux volumes de son Histoire de France, nous glissa, comme friandise inattendue, une production tout humoristique, l’Oiseau, le public mordit à belles dents ; mais le public eut à regretter d’avoir montré tant d’appétit : l’Oiseau enfanta l’Insecte, qui lui-même enfanta l’Amour, auquel succédèrent la Femme, la Sorcière, la Montagne, la Mer, etc. Déjà même le volume de Nos Fils, s’il faut en croire M. Michelet, était en germe dans son cerveau, gros de l’Amour ; il devait éclore « au jour grave de la transformation sociale. » Soit, la gestation a été longue, voyons si le produit s’en est bien trouvé.

Certes nous nous garderons bien d’attaquer l’idée véritablement grande et généreuse qui inspire ici, comme partout, M. Michelet. Deux principes inconciliables, selon lui et selon nous, sont aujourd’hui en présence : d’une part le vieux dogme, la superstition, de l’autre la raison humaine et la liberté. Le premier, près de disparaître, se raccroche au monde désespérément par les femmes et par les enfans ; l’autre au contraire, plein de jeunesse et de sève, triomphe de plus en plus en l’homme ; de là deux éducations, non pas seulement diverses, mais opposées, deux lignes qui doivent, « en s’écartant toujours, diverger jusqu’à l’infini. » Telle est la pensée générale du livre, formulée en quelques pages ; il nous reste à voir quels développemens cette pensée va revêtir.

Procédons par ordre et prenons l’enfant au berceau… Non pas, nous dit M. Michelet, prenons-le avant le berceau. Où donc ? Au sein de sa mère. L’éducation avant la naissance, voilà, s’il vous plaît, le point de départ. Je veux m’arrêter longuement sur les mystères de la grossesse et de l’enfantement, qui déjà, vous le savez, me sont familiers ; j’analyserai une à une, et vous-même analyserez avec moi, sous ma direction, les mystiques rêveries de celle qui doit mettre au jour, je ne vous le cache pas, « plus qu’un saint, plus qu’un héros, un créateur, un Prométhée ; » nous ferons ensemble vibrer dans son cœur les mélancolies religieuses de la cloche voisine, et ce sera en même temps pour moi une belle occasion de remettre en branle l’antique sonnerie du beffroi municipal, et d’en faire jaillir l’histoire des communes flamandes ou italiennes. Psychologue, moraliste, physiologiste surtout, et par momens même historien, je serai tout à la fois.