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de ne m’arrêter que quelques jours à San-Francisco. Je m’étais proposé de jeter un coup d’œil rapide sur la ville et les environs, puis de continuer mon voyage sans plus de retard. En débarquant en Californie, je m’étais confirmé dans cette résolution. San-Francisco n’est pas pour le nouveau-venu d’un abord agréable. Le pays est nu, maussade, poudreux, la ville mal pavée, fort mal entretenue; les maisons d’habitation, les édifices, les hôtels, sont bâtis à la hâte, manquent de caractère, et semblent rivaliser de mauvais goût et de luxe à bon marché; les habitans circulent affairés, courant droit devant eux, indifférens les uns aux autres, se heurtant sans dire gare, se marchant sur les pieds sans demander pardon. Au milieu de gens si pressés et d’allures si promptes, je me sentais mal à l’aise, venant surtout d’un pays où l’on marche lentement, et où l’on trouve encore aujourd’hui des Européens qui croient montrer de la dignité en se faisant suivre, dans les rues de Yokohama, de domestiques armés à pied et à cheval.

Quelques heures suffirent à changer toutes ces impressions. Mon entrée dans l’hôtel m’avait déjà procuré une agréable diversion : selon l’usage, on m’avait demandé d’inscrire mon nom sur un gros livre placé, pour l’inspection de tout venant, dans le vestibule, qui servait en même temps de salle d’attente; là, étendus sur les bancs et les chaises, se tenaient une vingtaine de Californiens lisant, fumant, chiquant et crachant, et qui n’interrompirent leurs respectives occupations que pour me soumettre pendant quelques instans à un prompt et minutieux examen. On m’avait conduit dans une chambre bien tenue et élégamment meublée. Una jeune servante, tout en disposant mon lit, avait pris à mon égard le rôle d’un juge d’instruction: elle m’avait demandé comment je m’appelais, d’où je venais, si je comptais faire un long séjour à l’hôtel et quel était le but de mon voyage, tout cela poliment et de la manière la plus naturelle. Sur ma réponse que je venais du Japon et que j’allais à Paris, elle répliquait qu’elle n’avait, pour son compte, qu’à se louer des voyageurs arrivant de « l’autre côté, » qu’elle en connaissait beaucoup qui étaient de parfaits gentlemen (question de pourboire, je suppose, car on est en général généreux sous ce rapport en Chine comme au Japon), et qu’assurément plusieurs de mes compatriotes (elle me traitait en Japonais tout simplement) devaient se la rappeler. Notre conversation se prolongea sur ce ton pendant que je débouclais mes malles, et je sortis de l’Ocddental Hotel en riant pour aller porter quelques lettres d’introduction dont je m’étais muni en partant de Yokohama.

L’aimable et cordial accueil qu’on me fit partout! « Asseyez-vous donc; gardez votre chapeau, l’on s’enrhume facilement ici; prenez un