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tiennent, autrefois horizontales, ont été violemment déchirées et soulevées à une grande hauteur par une explosion souterraine.

Jusqu’à Saint-Michel, à 722 mètres au-dessus de la mer, la route ne quitte pas la région des cultures; un peu au-delà, elle pénètre dans celle des forêts, bien que l’on y rencontre encore quelques villages, et que de nombreux champs de seigle et de pommes de terre interrompent fréquemment la sombre uniformité du paysage. De Saint-Michel à Modane, la route suit toujours l’étroite et abrupte vallée de l’Arc, tantôt longeant le torrent, tantôt le traversant sur un pont de bois à une hauteur vertigineuse. En face, sur le versant opposé, au sommet d’un rocher à pic, est le fort d’Esseillon, dont les batteries superposées commandaient dans toutes les directions la route de France. Il est mis en communication avec celle-ci par un pont suspendu jeté sur le précipice au fond duquel gronde l’Arc en fureur. Ce fort, aujourd’hui abandonné, est d’un effet très pittoresque; il contribue à orner le site, et c’est le seul service que nous voudrions à l’avenir avoir à attendre de tous les ouvrages de ce genre. De Modane à Lanslebourg, la vallée devient de plus en plus sauvage et grandiose. On aperçoit tantôt des cascades aux eaux écumantes qui se précipitent d’une hauteur prodigieuse, tantôt des ravins qui, en été à sec, seront pendant la saison des pluies des torrens furieux. Parfois une tache jaune, au sommet de la montagne, indique qu’un éboulement s’est produit à cet endroit, et que les terres détrempées ont été précipitées dans la vallée.

Bien que depuis Saint-Michel les rampes de la route dépassent quelquefois 8 pour 100, ce n’est qu’à Lanslebourg que, pour les gens du pays, commence l’ascension du Mont-Cenis. Ici en effet, la route quitte la vallée de l’Arc, et, s’attaquant directement à la montagne, en escalade les flancs par des lacets répétés qui la conduisent jusqu’au sommet du col. Elle traverse d’abord une magnifique forêt de sapins et de mélèzes, puis entre dans la région des pâturages et des rochers. La neige en ferait pendant l’hiver perdre la trace aux voyageurs, si des dés en pierre et des poteaux placés de distance en distance n’en signalaient les sinuosités. Ce n’est pas d’ailleurs tout ce qu’on a fait pour assurer la sécurité du passage. Vingt-trois maisons de refuge ont été construites entre Lanslebourg et Suse; elles sont occupées par des cantonniers dont le devoir est non-seulement d’entretenir la chaussée, mais encore de venir en aide aux voyageurs en péril. Au sommet du col est un petit plateau abrité par les cimes des montagnes voisines, et sur lequel se trouve un charmant lac, aux eaux azurées, peuplées de truites délicieuses; en face du lac se trouve un hospice qui fut fondé par Charlemagne lorsqu’il traversa le Mont-Cenis avec son armée pour se rendre en Italie. Très utile à