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leurs dans les entrailles mêmes de la montagne, on pourrait multiplier les points d’attaque et avancer la besogne; mais, si l’on est forcé de s’en tenir aux deux ouvertures extrêmes, il n’est pas probable qu’on creuse jamais plus de 3 mètres par jour de chaque côté. En admettant ce chiffre, bien supérieur aux résultats obtenus jusqu’ici, il ne faudrait guère moins de huit années pour percer un tunnel de 16 kilomètres, comme serait celui du Saint-Gothard. C’est là un délai considérable et qui retarderait beaucoup les bénéfices de l’entreprise.

Le second système au contraire, qui consiste à franchir les cols au moyen d’une voie ferrée à fortes rampes, et dont le chemin Fell est aujourd’hui le type le plus complet, offre l’immense avantage de permettre une exploitation à peu près immédiate et de coûter moins de frais d’établissement; mais il a l’inconvénient d’être d’une exploitation difficile, d’accroître sensiblement les dépenses de traction et d’entretien, et, surtout dans les hautes montagnes, d’être exposé pendant l’hiver à des irrégularités et des interruptions de service. Ces systèmes ont donc chacun leurs mérites et leurs défauts; la préférence à donner à l’un ou à l’autre doit dépendre des circonstance: où l’on est placé.

Lorsqu’il s’agira d’une voie principale, destinée à un trafic considérable, à une circulation active, il n’y aura point à hésiter: c’est aux longs tunnels qu’il faudra recourir, et c’est pour ce motif qu’on a eu raison de percer le Mont-Cenis, qu’on aura raison de percer le Saint-Gothard ou toute autre montagne de cette chaîne. Les frais seront alors plus que couverts par les bénéfices d’une exploitation de grande importance. S’il ne s’agit que de donner satisfaction à des intérêts plus restreints, le système Fell sera préférable, car, tout en permettant de parcourir au moins 25 kil. à l’heure, il permettra d’éviter des dépenses qui ne donneraient aucune compensation. On a tout dit sur les avantages économiques et moraux des chemins de fer; encore faut-il que ces avantages balançant les sacrifices qu’ils imposent, et dans les tracés nouveaux à choisir c’est aujourd’hui moins de la question technique que de la question économique qu’on doit se préoccuper. Or il est de principe qu’en matière de chemin de fer il faut proportionner les frais à l’activité commerciale des pays qu’ils sont appelés à desservir; s’il est rationnel d’acheter une exploitation régulière et peu onéreuse par une première mise de fonds considérable, il serait insensé de poursuivre la perfection à grand renfort de millions dans les pays qui ne peuvent donner qu’un trafic insignifiant.

Ces principes ne sont pas seulement applicables à la Suisse, et la France fera bien de s’en pénétrer à son tour, puisqu’elle songe au-