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touchait à tout sans avoir d’ailleurs pour se guider de principes bien lucides. On en peut juger par cet exemple. « Une personne de considération, dit-il, me demanda avec instance d’essayer si de la matière fécale je ne pourrais pas tirer une huile distillée, sans mauvaise odeur, qui fût claire et sans couleur comme de l’eau de fontaine, parce qu’elle en avait vu, comme elle le croyait, un effet surprenant, qui était de fixer le mercure commun en argent fin. » Homberg organise aussitôt les essais qu’on lui conseille, et, ne voulant pas opérer sur des élémens ramassés au hasard, il loue pour alimenter son travail quatre hommes sains et robustes; il les enferme pendant trois mois dans une maison munie d’un grand jardin, après avoir fait avec eux la condition qu’ils ne se nourriraient que d’excellent pain de Gonesse, et qu’ils ne boiraient que du vin de Champagne. Sa matière première ainsi assurée, Homberg la traite par tous les. moyens connus, tantôt par voie sèche, tantôt par voie humide; il distille, décante, filtre ses produits, recueille des liqueurs plus ou moins rousses, plus ou moins acres. Au bout de plusieurs mois seulement, il obtint « une huile incolore, presque sans odeur, et le peu qu’elle avait était légèrement aromatique ; » mais hélas ! elle ne changeait pas le mercure en argent.

Leymery est l’auteur d’un traité de chimie qui, de 1675 à 1713, eut dix éditions, et qui fut traduit dans toutes les langues de l’Europe. Ce traité ramène tous les mixtes à cinq sortes de substances : l’eau, l’esprit, l’huile, le sel et la terre; « de ces cinq, il y en a trois actives, l’esprit, l’huile et le sel, et deux passives, l’eau et la terre. » Leymery eut surtout de grands succès comme professeur; il faisait chez lui des cours qui étaient suivis par les hommes les plus considérables, et où l’on voyait même quantité de dames.

À cette période de l’histoire de la chimie, nous pouvons encore emprunter une figure originale. Rouelle, qui introduisit en France la doctrine du phlogistique, peut représenter dans notre galerie un type sans lequel elle serait évidemment incomplète, le type du savant distrait, excentrique, qui met sa perruque et ses bas de travers. C’est Grimm, le nouvelliste de la philosophie et des sciences, qui nous a tracé le portrait de Rouelle. « Il était d’une pétulance extrême; ses idées étaient embrouillées et sans netteté, et il fallait un bon esprit pour le suivre et pour mettre dans ses leçons de l’ordre et de la précision... Ordinairement il expliquait ses idées fort au long, et quand il avait tout dit, il ajoutait : Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne !... Il avait une si grande habitude de s’aliéner la tête que les objets extérieurs n’existaient pas pour lui. Il se démenait comme un énergumène en parlant sur sa chaise, se renversait, se cognait, donnait des coups de pied à son voisin, lui déchirait ses manchettes sans en rien savoir. Un jour, se trou-