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lui un jeune neveu, Laurent de Jussieu, alors âgé de dix-sept ans. Il en fit son élève, il lui communiqua la méthode de classification des plantes à laquelle l’avaient conduit ses longs travaux, et il lui confia toutes les richesses scientifiques qu’il avait amassées en silence. Le monde savant d’ailleurs ne se trompait pas sur le mérite de Bernard. Sans qu’il eût presque rien publié, chacun savait ce qu’il valait, et peu à peu son nom était devenu célèbre dans toute l’Europe. A sa recommandation, Buffon fit monter le jeune Laurent, âgé de vingt-deux ans, dans la chaire de botanique du Jardin du roi. Bernard n’avait jamais voulu faire de leçons publiques; il se défiait de sa parole, et il se contentait des modestes fonctions de démonstrateur du cours dont son neveu venait d’être chargé. On vit donc le vieux savant, assis à côté de son élève chéri, tendre d’une main émue au jeune professeur les plantes qu’il lui avait appris à connaître. Bernard mourut en 1777, et c’est en 1789 seulement que Laurent publia le Genera plantarum secundum ordines naturales disposita. « Ce livre, dit Cuvier, marque dans les sciences d’observation une époque aussi importante que la Chimie de Lavoisier dans les sciences d’expérience. » En le publiant, Laurent eut soin de le donner comme une sorte de testament du vieillard illustre qui lui avait servi de père et de maître.


IV.

Depuis sa fondation, l’académie avait soigneusement borné son horizon au domaine de la science, et s’était strictement abstenue de toute préoccupation politique. Dans la longue série de ses procès-verbaux, on eût cherché vainement, avant 1789, une simple allusion aux événemens du dehors. Les temps allaient venir où, quelque soin qu’elle mît à s’en défendre, les agitations de la vie publique devaient retentir jusque dans son sein. Le 4 juillet 1789, on lit au procès-verbal : « Il est décidé de témoigner à M. Bailly, de la part de l’académie, sa satisfaction de la manière dont il a rempli les fonctions de président de l’assemblée nationale. » Après cette motion tout à fait inusitée, l’académie se hâte de reprendre son ordre du jour; elle entend une lecture de Coulomb sur le frottement des pivots et un mémoire sur la culture de l’indigo. Quelques jours après, l’académie se rend en corps à Chaillot, où habitait Bailly, pour le féliciter au sujet de sa nomination de maire de Paris. A l’heure même où ses collègues faisaient cette démarche, Bailly était à l’hôtel de ville, où il cherchait en vain à soustraire Berthier et Foulon aux fureurs de la populace. Dès la séance suivante, il accourt pour remercier ses collègues de la part qu’ils prennent à son rôle politique.