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de l’académie de conférer avec le ministre sur l’objet proposé, tandis qu’elle se livrera à des occupations plus intéressantes. » On s’empresse d’adopter cette solution comme un moyen de traîner l’affaire en longueur et de la faire avorter ; mais Fourcroy ne l’entendait pas ainsi. Le 5 septembre, au moment même où le sang des suspects coule à flots dans les prisons de Paris, il poursuit, seul contre tous, sa sinistre motion, et interpelle le secrétaire perpétuel pour savoir s’il a reçu réponse du ministre au sujet de la radiation qui devait être faite des membres hostiles à la révolution. On lit au procès-verbal : « Le secrétaire ayant répondu qu’il n’avait reçu aucune lettre du ministre, l’académie arrête que, le ministre n’ayant pas répondu, le secrétaire ne pourra délivrer aucune liste des membres, ni en faire imprimer aucune jusqu’à ce que cette réponse soit parvenue. » Le zèle opiniâtre de Fourcroy fut ainsi paralysé par l’énergique et unanime réprobation de ses collègues.

La prudence de l’académie ne devait pas la sauver. En vain elle gardait la plus grande réserve et éludait autant que possible les questions qu’on lui posait. Il lui fallait bien quelquefois, bon gré mal gré, émettre une opinion; dans beaucoup de circonstances, il était aussi dangereux de se taire que de parler. Sa cause était d’ailleurs liée jusqu’à un certain point à celle des autres académies, de l’Académie française, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, des académies de peinture et de musique, qui toutes étaient menacées.

Un premier décret de la convention suspendit la nomination aux places vacantes dans les académies (18 novembre 1792); par un singulier hasard, il fut rendu précisément dans une séance où le président de l’assemblée, avec le langage ambitieux de l’époque, avait hautement félicité les membres de l’Académie des Sciences sur leurs travaux relatifs aux poids et mesures. « Estimables savans, leur avait-il dit, depuis longtemps les philosophes plaçaient au nombre de leurs vœux celui d’affranchir les hommes de cette différence de poids et mesures qui entrave les transactions sociales; mais le gouvernement ne se prêtait pas à cette idée des philosophes, jamais il n’aurait consenti à renoncer à un moyen de désunion. Enfin le génie de la liberté a paru, il a demandé au génie des sciences quelle est l’unité fixe et invariable, indépendante de tout arbitraire. Estimables savans, c’est par vous que l’univers devra ce bienfait à la France ! »

C’était là un singulier commentaire au décret du 18 novembre. Aussi Lakanal, qui défendait dans le comité de l’instruction publique les intérêts de l’académie, espéra-t-il qu’il pourrait en pré- venir la ruine. Sur sa proposition, le 17 mai 1793, un nouveau décret permit de pourvoir provisoirement aux places d’académiciens va-