Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’être point aussi commode que celle qu’emploient MM. Barbier et Carré dans leurs éternelles découpures; mais du moins exige-t-elle un certain art, et c’est en ce sens que je la préfère. Peut-être doit-on regretter, au point de vue du succès de la Petite Fadette, la simplicité un peu bien grande de cette action, dont le principal attrait avait d’avance été défloré au théâtre, car si le roman, à la place où George Sand l’a mis, reste un chef-d’œuvre, à l’Opéra-Comique Rose Friquet avait dès longtemps coupé l’herbe sous le pied à Fanchon Fadette. Il faut bien se l’avouer, surtout quand c’est la même actrice qui revient avec les mêmes habits, le même geste malin, espiègle, intelligent, j’allais dire avec la même voix; mais je m’arrête, car ce trésor-là. Rose Friquet en a dépensé le principal, et ne laisse guère à la pauvre Fadette que ses deux beaux yeux pour pleurer. N’importe, cette paysannerie en trois actes et cinq tableaux a son charme; cela respire l’honnêteté, la chansonnette y fleurit, non point malsaine et empoisonnée de ces puanteurs de tabagie et de mauvais lieux, mais fraîche, simplette, exhalant son petit parfum de fraises des bois. La ritournelle vous invite à penser à Sedaine, à Monsigny, et vous avez un de ces spectacles fins et précieux qui sont, dirait Hamlet, « du caviar pour le peuple, » mais dont les délicats s’arrangent à merveille.

Déjà s’ouvre la perspective sur le Rêve d’amour de M. Auber; les répétitions ont commencé, et le maître vit désormais dans la plus complète quiétude à l’endroit de son ténor. Le voyage en Amérique est remis à l’année prochaine. M. Capoul, pour l’heure présente du moins, ne quitte pas la terre de France. L’Opéra-Comique n’aura fait là qu’un mauvais rêve; au Rêve d’amour maintenant! Un pareil titre implique chez l’auteur une préoccupation exceptionnelle des rôles de femme; on peut compter d’avance que M. Auber y mettra tous ses soins, dût-il multiplier les essais et beaucoup tâtonner, selon son habitude, avant d’avoir trouvé ce qu’il cherche. Voici qu’on se prend à parler de Mlle Marie Roze, absente de la scène depuis quelque temps, et dont la légende ne se lasse pas de nous raconter la transfiguration en cantatrice de premier ordre! Non contente de son succès de jolie femme dans le Premier jour de bonheur, la gracieuse Dugazon serait allée demander à M. Wartel le secret du grand art, et ce singulier fabricateur de voix, l’inventeur des Nilsson et des Trebelli, aurait accompli à cette occasion son troisième miracle! En attendant que le public sache au juste à quoi s’en tenir, les bruits de coulisse font voyager la nouvelle étoile du Théâtre-Lyrique, qu’elle dédaigne de sauver, à l’Opéra, qui n’a pas besoin qu’on le sauve. Aujourd’hui c’est avec l’Opéra-Comique que l’entretien est engagé; qu’on en finisse donc! L’Opéra-Comique ne saurait mettre à se recruter trop d’empressement : Mme Cabel chevrotte, Mme Galli-Marié joue et ne chante plus guère, Mlle Cico ne joue ni ne chante; pour peu qu’un tel état de