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en empruntant à nos scènes lyriques diverses œuvres qu’il ferait traduire à son usage. Il semblerait au premier abord que la question soit des plus simples. Erreur profonde! Ce théâtre, qui passe sa vie à prêter son bien à tout venant, se voit refuser la faculté d’entrer dans le champ du voisin pour y ramasser, en les payant, les fruits dont personne ne veut. Les privilèges ici ne souffrent pas la réciprocité. Il est admis que l’Opéra prendra au Théâtre-Italien la Sémiramide et le Trovatore, que le Théâtre-Lyrique lui prendra il Barbiere, Rigoletto et la Traviata, mais qu’en revanche le Théâtre-Italien s’abstiendra de toucher à la Favorite. Vous pensez si la discussion a chaudement épousé la querelle : il n’y a qu’un cri contre ces malheureux traités qui ne concordent pas, et cependant je serais presque tenté d’en prendre la défense. Iniques! oui, je le veux bien; mais en quoi l’application a-t-elle jamais nui aux intérêts du Théâtre-Italien? Sans aucun doute les privilèges ont le tort de n’être pas réciproques; mais les prétendus dommages causés à la scène italienne par les divers emprunts qu’on peut lui faire ne sauraient se comparer, pour la gravité des résultats, à l’inconvénient que produirait à nos scènes lyriques ce droit de participer à leurs répertoires accordé ainsi à la plus redoutable des concurrences. Qu’importent tous les emprunts qu’on peut lui faire à un théâtre dont le répertoire est connu du monde entier, et qui puise l’élément de sa vie et de sa fortune dans le seul prestige de l’exécution? Qu’on joue Rigoletto ou Violetta au Théâtre-Lyrique, le Trouvère à l’Opéra, le mal qui en résulte en somme ne sera jamais bien grand. Ces traductions d’une platitude écœurante, exécutées à la diable par des chanteurs distraits pour un moment de leur besogne ordinaire et qui ne demandent qu’à y retourner, ces traductions ne sauraient porter préjudice. Elles ont au contraire le mérite de vulgariser, de faire en quelque sorte acte de réclame pour le Théâtre-Italien, lequel voit ainsi venir à lui tout un public nouveau mis en humeur de dilettantisme, et qui, après avoir goûté du médiocre, tient à connaître l’excellent. Supposons maintenant la réciprocité des privilèges, et demandons-nous sérieusement si le Domino noir reviendrait faire une belle figure à l’Opéra-Comique après avoir été chanté la veille à Ventadour par Mme Patti, et si le dommage causé au Théâtre-Italien par la représentation du Trouvère équivaudrait à l’inconvénient qu’il y aurait pour l’Académie impériale à laisser la Favorite, Robert et les Huguenots s’en aller courir la prétentaine de l’autre côté du boulevard.

Il faut en ce monde être ce qu’on est, et tâcher de l’être le mieux possible. Qui dit Théâtre-Italien dit apparemment un théâtre où l’on va pour entendre de la musique italienne. J’ai beau y réfléchir, je ne vois pas ce que l’on gagnerait à mentir publiquement à son enseigne, La raison d’être de la scène Ventadour, son succès et sa fortune sont dans sa spécialité ; qu’elle s’y tienne. Je ne prétends point qu’on doive s’abstenir de tout