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guerre le plus tôt possible. La conséquence est facile à prévoir. Ces manifestations touchent assez peu le sentiment anglais, elles manquent de ce qui fait la toute-puissance des grandes démonstrations populaires, et M. Gladstone savait bien qu’il ne serait pas abandonné par l’opinion anglaise lorsqu’il s’est prononcé hautement et résolument contre l’amnistie dans la réponse qu’il a dernièrement adressée au président d’un comité formé à Limerick. Il s’est souvenu qu’il était le premier ministre du royaume-uni, le gardien de la paix publique, et qu’avant d’amnistier des prisonniers régulièrement condamnés il était tenu de ne pas abaisser la loi, de ne pas désarmer l’Angleterre en face de tous les fenians d’Amérique et d’Irlande. Ces pauvres Irlandais ont cela de commun avec des Français de notre connaissance, qu’ils commencent par demander l’impossible et qu’ils finissent par compromettre les progrès réels qu’ils pourraient obtenir. Le cabinet qui existe aujourd’hui à Londres a fait pour eux ce qu’aucun ministère anglais n’a tenté jusqu’ici : il les a affranchis dans leur conscience et dans leur religion. M. Gladstone, malgré sa lettre au sujet des prisonniers fenians, ne se laissera certainement pas détourner de la voie libérale et réparatrice où il est entré ; la meilleure réponse qu’il puisse opposer à l’agitation actuelle, c’est de ne pas s’arrêter, de faire pour l’Irlande tout ce qui est possible. Ce sera sans doute un des plus sérieux objets de discussion dans la session prochaine, et M. Gladstone aura plus d’une lutte à soutenir contre de redoutables adversaires qui n’abdiqueront pas, quoiqu’ils aient fait tout récemment une perte sérieuse.

Cette scène parlementaire anglaise, si puissante et si libre, ne reverra point en effet une de ses plus attachantes figures. Lord Derby vient de mourir de la goutte à soixante-dix ans, et avec lui c’est le chef le plus incontesté, le plus éminent du parti tory qui disparaît. Par son nom, par sa fortune, lord Derby était fait pour un des premiers rangs en politique ; mais il était aussi à la hauteur de ce rang par ses qualités personnelles. À l’ascendant de la naissance, le pair d’Angleterre, le quatorzième comte de Derby, joignait l’autorité de l’esprit et du caractère. Il avait tout ce qu’il faut pour briller et pour jouer un rôle prépondérant, — une constitution robuste, une activité infatigable, tous les dons virils de séduction, une éloquence entraînante, à la fois passionnée et fortement nourrie. Comme tous les grands seigneurs anglais, il était entré jeune dans la vie publique sous le nom de lord Stanley. À vingt-deux ans, il représentait au parlement le bourg de Stockbridge, et bientôt il était l’élu de Preston, de Windsor. À vingt-sept ans, il était sous-secrétaire d’état avec Ganning ; à trente-deux ans, il était ministre pour l’Irlande, et ce qu’il y a de curieux, c’est qu’à cette époque il était dans les rangs des whigs ; il fut un des plus ardens promoteurs de la réforme parlementaire qu’il devait compléter à la fin de sa carrière. Ce n’est que quelques