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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

prétendus alliés. « L’Autriche, continua-t-il, a voulu la guerre pour s’assurer la domination de l’Allemagne. Or nous ne saurions renoncer à notre influence en Allemagne sans compromettre notre existence elle-même. C’est pour nous une question de vie ou de mort. Il fallait deux choses pour que je me décidasse à la lutte : 1° la conviction que notre cause était juste, que nous pouvions compter sur la protection du Très-Haut et de cette main toute-puissante qui dispose du sort des batailles ; 2° la certitude que l’instrument de la guerre, l’armée prussienne, était bon. Que l’instrument fût bon, je ne pouvais en douter, ayant consacré toute ma vie au perfectionnement de notre armée. Que notre cause fût juste, cela me paraissait démontré, parce que notre existence même était en jeu, et c’est ainsi que je me décidai, le cœur gros (schweren und schwersten Herzens), à une lutte décisive, dont je remettais l’issue à Dieu. » Le roi ajouta que les résultats de cette lutte avaient dépassé toutes ses prévisions, qu’il ne s’en était guère vu de pareils dans l’histoire, et qu’il y reconnaissait une faveur visible de la Providence, sans laquelle l’armée la mieux dressée ne saurait accomplir de tels prodiges. Il conclut en disant que, la Providence ayant parlé, il ne pouvait que remercier la députation de sa franchise, mais qu’il devait à son peuple un dédommagement, à son armée une garantie contre le retour des périls dont elle venait de sortir si glorieusement, et que l’annexion du Hanovre était un fait accompli.

Il est difficile de relire ce discours sans sourire depuis qu’une dépêche fameuse, dont la publication a soulevé des tempêtes à Berlin, nous a révélé que le roi Guillaume voulait avant tout et par-dessus tout des annexions. Cependant il est bon d’être équitable envers les rois comme envers les particuliers. Le roi Guillaume pourrait alléguer pour sa justification qu’il n’a point fait de propos délibéré, comme Frédéric II, la guerre à l’Autriche pour s’arrondir, que lorsqu’il travaillait à perfectionner l’instrument, il n’avait en vue que des conquêtes morales ; mais, que l’occasion se présentant, il a fait la guerre, et que, du moment qu’il faisait la guerre, les conquêtes morales ne lui suffisaient plus. Il lui aurait semblé dur de s’être dérangé pour si peu ; il est allé droit au solide. On prétend même qu’il eut grand’peine à s’arrêter, que ce n’était pas assez des provinces de l’Elbe, du Hanovre, du Nassau, de Cassel, pour satisfaire les appétits de sa verte et vaillante vieillesse, qu’après Sadowa il désirait frapper un second coup qui lui permît de s’étendre encore du côté de la Bohême ou de la Silésie autrichienne. M. de Bismarck, qui dit tout, doit avoir dit un jour à quelqu’un : « Il est fort heureux que la France nous ait empêchés d’entrer à Vienne. Tout le monde autour de moi avait la tête en feu et des démangeaisons dans les jambes. Le roi ne pouvait se consoler de ne pas aller coucher à la Burg ; mais