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besoin d’écrire, il est à peine besoin de parler ; leur alliance est si naturelle, leur est tellement imposée par la situation, qu’il faudrait pour la rompre des conjonctures trop extraordinaires pour qu’on les puisse prévoir, ou un accès de démence que rien non plus ne fait présager. Il passe pour constant en Allemagne que la Prusse ne pourrait franchir le Mein sans trouver devant elle cette redoutable coalition. De là ce malaise dont toute l’Europe souffre, ces défiances réciproques, cette nécessité de s’armer jusqu’aux dents, les inquiétudes, les embarras d’une paix incertaine et morbide. Depuis 1866, une guerre est dans l’air ; par lassitude de la craindre, beaucoup de gens se prennent à la souhaiter, préférant le mal à la peur du mal et désirant, comme ils disent, qu’on en finisse. Heureusement cette guerre qui finirait tout est difficile à commencer, puisqu’on nous l’annonce de mois en mois depuis trois ans, et que les belligérans en sont encore à se regarder l’arme au pied.

Est-elle certaine, est-elle probable, cette grande mêlée qui serait peut-être aussi longue que celle de 1866 a été courte ? À qui appartient-il de la vouloir et de la commencer ? Il nous semble prouvé que ce droit de redoutable initiative n’appartient ni à l’Autriche ni à la France. Quels que puissent être leurs déplaisirs ou leurs rêves secrets, ces deux puissances sont dans la position de gens qui se défendent et à qui l’offensive est interdite. Elles sont condamnées à accepter les faits accomplis, à prendre pour base de leur politique la paix de Prague ; leur rôle consiste à la faire respecter des autres, à empêcher qu’on ne la viole ou qu’on ne l’étude à leurs dépens.

C’est une des vertus des Allemands de savoir profiter de leurs revers. Il n’est pas d’exemple dans l’histoire qu’un peuple ait fait un usage plus heureux de ses malheurs que ne l’ont fait la Prusse après Iéna, l’Autriche après Sadowa. Sa défaite a donné à l’Autriche M. de Beust et la liberté, et elle est à moitié consolée d’avoir été battue ; mais l’organisation nouvelle qu’elle a dû s’imposer, très favorable à son bien-être intérieur, l’est beaucoup moins à la liberté de ses mouvemens au dehors, et lui ôte cette facilité d’entreprendre qu’elle possédait autrefois et dont la Prusse a hérité. Un gouvernement libéral doit compter avec l’opinion publique ; le malheur du gouvernement autrichien est qu’il y a désormais dans l’empire deux opinions publiques, et qu’il doit se mettre en règle avec l’une et l’autre, s’attacher aux intérêts communs qui les peuvent concilier, ne rien essayer avant de les avoir accordées. Or l’opinion hongroise est d’avance hostile à tout ce que pourrait tenter le cabinet de Vienne pour défaire ce qui a été fait à Prague et pour reconquérir son ancienne situation en Allemagne. La Hongrie a le visage et les yeux tournés vers l’Orient, elle ne demande qu’à vivre en paix avec la Prusse ; tous ses ombrages et toutes ses défiances lui vien-