Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

quées d’avance. Est-il sage d’affronter des intérêts coalisés qui savent ce qu’ils feront, pour s’annexer des populations froides ou hostiles, résignées tout au plus à se laisser prendre, mais décidées à ne pas se donner ?

La Prusse sent son isolement. Il lui faut une alliance. Où la trouvera-t-elle ? Est-elle sûre de la Russie, peu charmée de sa prétention à faire de la Baltique un lac prussien ? Que lui promettra-t-elle pour la gagner et que lui peut-elle promettre sans indisposer l’Angleterre ? Si, renonçant à lier partie avec Saint-Pétersbourg, la Prusse cherche à s’assurer la neutralité de l’Autriche, ne faudra-t-il pas s’entendre avec le cabinet de Vienne sur le vrai sens de la paix de Prague, s’engager à respecter en quelque mesure l’article IV et cette indépendance des états du sud qui permet à l’Autriche de respirer du côté de l’Allemagne ? Ces gouvernemens du sud eux-mêmes, ne faudra-t-il pas entrer en pourparlers avec eux pour s’assurer leur concours ? Depuis que la Prusse a fait ses annexions, les Allemands ne peuvent plus traiter avec elle sans lui demander des garanties, et on trouverait difficilement au sud du Mein un soi-disant prussophile qui consentît à entrer dans la confédération du nord sans conditions. Or il en coûterait beaucoup au cabinet de Berlin de négocier avec ces états secondaires qu’il traite dédaigneusement de non-valeurs politiques, et il est difficile de croire que M. de Bismarck consentît à réformer sa confédération du nord, chef-d’œuvre de sa politique, pour y fourrer ces libéraux souabes qui, selon le mot d’un conservateur prussien, rendraient la cuisine impossible. Qu’on ne dise pas que les états du sud se sont à jamais liés par les traités d’alliance qu’ils ont signés avec la Prusse au lendemain de Sadowa. Ces traités, par lesquels les parties contractantes se garantissent l’intégrité de leurs territoires, sont solidaires du traité de Prague, et dès qu’il y aura doute sur l’interprétation du traité de Prague, il y aura doute sur l’interprétation des traités d’alliance. En un mot, les états du sud ont gardé le droit de déterminer le casus fœderis. « C’est un droit qui ne fait pas question, » disait le 29 octobre 1867, à la chambre des députés de Stuttgart, le président du ministère wurtembergeois, M. de Varnbühler, et il ajoutait : « La Prusse nous a demandé si nous considérions l’affaire du Luxembourg comme un casus fœderis. Nous lui avons répondu que nous devions préalablement connaître et apprécier les circonstances. Cette réponse a été trouvée suffisante. » Sans doute, en pareille occurrence, l’embarras des gouvernemens du sud serait extrême. Ils auraient à s’inspirer d’une part du sentiment national, qui est très vif à Stuttgart et à Munich ; mais l’opinion du midi ne se prononce pas avec moins d’énergie sur la nécessité de demander des garanties à la Prusse, et les gouvernemens ne pourraient lui